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magination que l’auteur de la Bible de l’humanité est tout ce qu’il est, qu’il prend toutes les formes; c’est par elle et avec elle qu’il est tour à tour ou tout ensemble historien, naturaliste, philosophe et surtout poète.

Ce n’est pas l’étendue et la variété des domaines parcourus ou un instant occupés par M. Michelet qui est ici une difficulté. On a vu plus d’une fois des esprits embrasser dans leur observation, étreindre dans une conception hardie et large les divers ordres de faits du monde moral ou physique, et c’est même le signe le plus éclatant d’une intelligence véritablement supérieure de ne point scinder les phénomènes humains, d’en saisir le lien intime, les rapports mystérieux, de retrouver par la pensée le secret de leur profonde et vaste harmonie; mais ces esprits font de l’imagination leur puissante et lumineuse complice, ils ne subissent pas son empire comme celui d’une maîtresse tyrannique. M. Michelet, lui, avec le même goût d’universalité, est justement le contraire de ces esprits; il est le serviteur de son imagination, il la suit haletant dans toutes les aventures où il plaît à cette souveraine fascinatrice de l’entraîner. Savant, il l’est sûrement malgré tout, et il ne faudrait pas imiter les bonnes gens qui ne reconnaissent plus la science, qui lui refusent leur porte comme à un hôte inconnu dès qu’elle ne se présente pas avec la démarche compassée, le geste pédantesque, la physionomie grave et ennuyeuse. Il est des pages de M. Michelet où dans un désordre apparent et à travers les bizarreries les plus inattendues le génie d’une époque, le caractère d’un personnage se révèlent tout à coup et parlent. Un homme revit dans un trait; un siècle palpite dans une peinture saccadée et à peine ébauchée. Ce n’est ni la science ni l’observation qui manquent à ce patient et ardent chercheur; mais toutes ces choses qu’il sait pour les avoir étudiées, pour les avoir contemplées face à face, ces élémens premiers rassemblés par une érudition active, l’imagination les interprète, les transfigure, les dépasse et les torture. Ce n’est plus l’esprit supérieur maître de son œuvre, disposant d’une main vigoureuse des élémens qu’il a conquis, les classant, les coordonnant pour en faire sortir la vie comme ferait un Macaulay ; c’est l’homme enivré et fasciné qui subit une domination, qui a des lueurs, des caprices, des emportemens ou des boutades, et c’est ainsi que tout ce que fait M. Michelet devient une série de fantaisies sur les révolutions humaines, sur l’histoire des animaux, sur la littérature, sur l’art, sur la philosophie morale et les religions.

Asservi et entraîné par son imagination, l’auteur de la Bible de l’humanité, si vive et si indépendante que soit sa personnalité, n’a plus la possession de lui-même; il est tout entier à sa création, au sujet qui l’émeut; il s’y absorbe. Son âme, par une de ces trans-