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bla de présens et d’honneurs. Un homme qui punissait ainsi la désobéissance étourdie de l’un des siens inspirait aux hommes turbulens qui l’entouraient une profonde terreur. Dans les districts qui lui étaient soumis, le vol était devenu chose inconnue. On pouvait laisser sur un chemin une bourse pleine d’or, personne ne se serait hasardé à y toucher ; mais en revanche les Kurdes ne furent jamais plus terribles pour leurs voisins. Les nestoriens de la province de Tauris payaient, depuis plusieurs années, un tribut à Beder-Han-Bey ; en 1844, excités par les conseils imprudens de missionnaires américains établis au milieu d’eux, ils se laissèrent aller à refuser le tribut et se préparèrent à résister. Quelques mois après, tous leurs villages étaient en cendres ; tout ce qui n’avait pas péri sous le fer des Kurdes était emmené en captivité dans la montagne.

Les malheurs des nestoriens avaient eu un grand retentissement en Europe. La légation américaine et l’ambassade anglaise avaient vivement ressenti les malheurs causés par la maladroite intervention de ces missionnaires, qu’elles protégeaient. On poussa la Porte à punir ces violences et à faire un dernier effort pour soumettre le Kurdistan. Beder-Han-Bey eut alors à soutenir contre les pachas chargés de le soumettre une lutte longue et glorieuse. Il ne succomba, en 1847, que sous des forces très supérieures, secondées par la trahison d’une partie des siens. Belégué, après sa défaite, dans l’île de Candie, où l’avait précédé le bruit de ses victoires, il avait, par la noblesse de son attitude, par le prestige qui l’entourait, pris bien vite un grand ascendant sur la population. Quand éclatèrent les troubles, il mit à profit cet ascendant : quoiqu’il ne fût investi d’aucune fonction publique et qu’il n’eût aucune force à sa disposition, il s’entremit avec une infatigable énergie, allant des Turcs aux Grecs, calmant ceux-là par ses sages conseils, rassurant ceux-ci par ses encouragemens et ses promesses, arrivant toujours à temps pour arracher aux plus furieux les armes qu’ils allaient tourner contre les pauvres chrétiens. Beder-Han-Bey joua donc à Candie à peu près le même rôle qu’Abd-el-Kader, deux ans plus tard, à Damas ; mais le chef kurde fut plus heureux : il réussit à prévenir les massacres, tandis que l’Arabe dut se borner à dérober aux bourreaux quelques victimes.

Ce qui a permis à un homme comme Beder-Han-Bey de prendre à une heure décisive, dans un pays étranger, un rôle aussi prépondérant, aussi brillant, c’est qu’il avait occupé longtemps une de ces hautes situations qui donnent aux qualités naturelles tout leur relief et tout leur jeu : l’exercice du commandement, la guerre, les négociations, la captivité, l’exil, lui avaient appris à connaître les hommes et les choses ; son esprit s’était ouvert en même temps que