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du Louvre. C’est la même simplicité, le même art d’indiquer les choses largement et par grandes masses. Il y a un peu de dureté et quelque chose de trop accusé dans certains mouvemens des muscles ou des draperies, mais point cette froideur compassée qui gâte la plupart des figures égyptiennes. Dans le type enfin de la physionomie, dans le dessin du profil, quoique ce soit là une des parties que les siècles ont le moins respectées, on reconnaît ces traits fortement accentués, ce nez aquilin, cette barbe longue et frisée, tout ce type enfin qui se trouve dans toutes les sculptures assyro-médiques, et qui ne peut être confondu avec nul autre.

Par une singulière rencontre, ce type, qui s’était ainsi présenté à moi d’une manière si saisissante, si imprévue, dans ce site désert, sur ce monument d’un si lointain passé, s’offrait à mes regards, quelques instans après, dans le monde actuel et dans la vie réelle. À 2 kilomètres de la forteresse, je m’arrêtai, pour me reposer pendant les heures chaudes du jour, dans un petit hameau nommé Kara-Omerlu. La physionomie des habitans du village et le caractère de leurs traits me frappèrent aussitôt. Ce n’était plus, je le vis du premier coup d’œil, à des Turcs que j’avais à faire. On sait combien de croisemens ont modifié peu à peu chez les Turcs le type tartare, et comment cette lente infusion de sang géorgien, circassien, grec, arménien, slave, a fini par donner à certains Osmanlis, dans la capitale surtout et dans les familles riches, des traits où ne se retrouve pour ainsi dire plus rien du primitif aspect de la race et de son ancienne coupe de visage. On peut remarquer pourtant chez les Osmanlis en Asie-Mineure, surtout parmi les gens de la campagne, certaines particularités qui se reproduisent chez la plupart d’entre eux et qui semblent caractéristiques : c’est le nez court et assez gros du bout ; c’est la saillie des pommettes, saillie légère, il est vrai, et qui n’est pas exagérée et difforme comme chez les Mongols ; ce sont les lèvres épaisses, les yeux humides et sensuels. Ici au contraire ce sont de grands yeux noirs, mobiles et ardens, un nez long et fin, la bouche bien fendue avec des lèvres minces. Le profil distingué, le sourcil arqué, la barbe noire et pointue, tout cela rappelle les Persans, mais avec quelque chose de moins civilisé et de moins délicat. Chez beaucoup de ceux qui m’entourent, il y a je ne sais quoi de sauvage dans la physionomie, d’étrange dans le regard, d’immodéré dans les mouvemens. Le contraste est frappant avec la placidité turque. C’est que ce village, c’est que la plupart des villages de l’Haïmaneh ne sont point habités par des Turcs ou des Turcomans, par des Tartares qu’auront plus ou moins modifiés les croisemens et le changement de milieu ; la population qui domine dans cette province,