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Celui-ci l’écoute sans prononcer une parole, si ce n’est pour éclaircir, au moyen de quelques questions, les points essentiels du récit.


« — Maintenant, monsieur Monck, voulez-vous m’accompagner chez moi? demanda poliment M. Granville.

« — Volontiers, monsieur, répondit Marion.

« Pas un mot de plus ne fut échangé entre eux pendant qu’ils se rendaient ensemble dans la maison du riche négociant. Le salon était libre; M. Granville sonna, un domestique parut.

« — Prévenez miss Isabel que je désire lui parler.

« Un instant après, la belle jeune fille était devant eux. Elle rougit en voyant avec qui se trouvait son père.

« — Approchez, mon enfant, lui dit ce dernier; je viens d’être informé par ce jeune gentleman qu’il vous aime depuis longtemps et qu’il croit cette affection payée de retour : en est-il ainsi? continua M. Granville du ton le plus doux.

« Sa fille ne répondit rien.

« — M. Benson n’a-t-il pas reçu de vous l’assurance qu’il vous plaisait et que vous étiez prête à lui accorder votre main? reprit-il encore avec le même accent.

« — Oui, mon père, répondit Isabel en toute simplicité.

« — Auriez-vous changé d’avis, ma bonne petite?

« — Non, père! fut-il répondu sans plus de précautions oratoires.

« — Désirez-vous épouser M. Marion Monck?

« — Nullement, père, à moins que vous ne le souhaitiez vous-même.

« — Vous pouvez rentrer chez vous... Et maintenant, monsieur Monck, je présume que vous avez pleine satisfaction? dit M. Granville.

« — Vous avez raison, monsieur, je suis satisfait... Je vois trop tard le piège grossier qui m’a été tendu, et, fût-elle reine d’Angleterre, je ne l’épouserais certainement pas, crut pouvoir ajouter le jeune homme indigné.

« — Elle n’est que miss Granville, et vous ne l’épouserez pas davantage... Mais restons-en là, reprit son patron, qui saisit une plume, traça rapidement quelques lignes et les inséra dans un pli cacheté. Ces lignes étaient adressées à l’employé chargé de la caisse... »


On devine le reste. Marion, à peine majeur et après sept années de bons et loyaux services, voit d’un jour à l’autre sa position brisée, son avenir compromis, ses espérances détruites, et tout cela pour les beaux yeux d’une Isa Granville !


II.

Le roman, à vrai dire, s’arrête ici. Déshérité de son amour, réduit à vivre d’expédiens, entraîné par le désœuvrement sur une pente fatale, demandant des consolations au scepticisme le plus cynique, cherchant à s’étourdir par l’abus des liqueurs fortes, Ma-