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plus de saison et qu’il doit provoquer une explication décisive; mais quand il sollicite d’Isa la permission de la demander ouvertement à son père, il la trouve effarouchée, incertaine, éludant toutes ses instances, reculant devant un parti-pris définitif. Pressée de questions, d’argumens irrésistibles, à bout d’évasions et de défaites, elle laisse enfin la triste vérité sortir de ses jolies lèvres roses. Tout en répétant à Marion ces tendres paroles qui l’ont ébloui, tout en lui laissant voir qu’elle déteste son rival, Isabella lui avoue que, sans force contre la volonté de son père, elle a toléré les assiduités de Middleton Benson, accepté ses hommages, et finalement promis d’être sa femme. Étonnée, intimidée de l’orage qu’elle soulève dans le cœur de son amant par ces aveux effrontés et naïfs, la jeune Américaine n’en repousse pas moins avec une persistance craintive, et sous les prétextes les plus frivoles, l’offre qu’il lui fait de la conduire immédiatement chez un ministre, et de se prémunir contre le refus paternel en faisant consacrer d’avance l’hymen que l’inflexible despotisme de Pitt Granville n’accepterait pas à d’autres conditions.


« — Y songez-vous, Marion? se récria Isabel, tout à fait scandalisée; croyez-vous que j’irais me marier en toilette du matin?... Et si je rentrais pour m’habiller, la tante Kate flairerait bien vite quelque anguille sous roche... Non, non, ne pensons plus à pareille chose.

« — Tenez, reprit Marion découragé, vous lasseriez la patience d’un saint... Que signifie cette question de toilette lorsqu’il s’agit de nos plus chers intérêts?... Mais si l’heure vous paraît mal choisie, si quelques préparatifs vous sont indispensables, promettez-moi de saisir la première chance qui se présentera,... ce soir par exemple...

« — Ce soir, impossible, répliqua Isabel Granville. Nous sommes invités chez le colonel Benson, et pour rien au monde je ne me dispenserais d’y aller... Mais à quoi bon tant insister sur ce mariage?... Papa serait capable de nous tuer tous les deux... Il vaut bien mieux se soumettre.

« — Croyez-vous à propos de plaisanter en pareille matière? Dites que vous ne voulez pas m’épouser, et je saurai...

« — Vous épouser? Je ne demande pas mieux,... si mon père y consent; mais il n’y consentira jamais, et alors que puis-je faire?

« — Supposons qu’il voulût savoir si vous m’aimez, votre réponse, que serait-elle?

« — C’est selon, dit la belle enfant avec une franchise désespérante. S’il avait l’air en colère, je répondrais que non; s’il paraissait bien disposé, je dirais certainement le contraire... En bonne conscience, peut-on exiger autre chose? »


Marion, — et ceci fait honneur à sa constance, — ne se tient pas pour battu. Il a pitié de tant de faiblesse, et, après avoir ramené chez elle la charmante Isa, il va seul affronter, par un aveu complet et une demande régulière, le courroux de son redoutable patron.