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tuelle, et, pour tout dire, la France telle que des monarques absolus l’ont faite et assise, telle que les révolutions l’ont élevée et inquiétée, la France, dis-je, en face d’un problème qui est d’en finir avec ces monarchies et ces révolutions. Il faut avouer que nos philosophes modernes, nos éclectiques touchaient de près à ce sujet où ils ne sont pas entrés. Ils y confinaient non-seulement par l’observation intime et psychologique dont ils faisaient profession, mais par le rare et vif sentiment qu’ils ont montré de la philosophie de l’histoire. Je ne sache rien de plus beau que certain passage des Fragmens philosophiques de M. Cousin. « Illustres historiens qui avez immortalisé par votre génie les aventures et les lois de quelques peuplades de la Grèce, vos peintures sont brillantes, vos idées souvent profondes ; vous me transportez réellement sur la place publique d’Athènes ou de Corcyre, sur les champs de bataille de l’Attique et de la Laconie ; vous me montrez fort bien ce qui a perdu Athènes, ce qui a fait triompher Lacédémone….. Mais après tout qu’est-ce qu’une nation de plus ou de moins dans l’humanité ? Qu’est-ce que cette Athènes, cette Lacédémone, dans le sein de la civilisation générale ? Représentent-elles quelque idée dans l’économie de la vie universelle ? Ce serait cette idée qu’il s’agirait de déterminer : ce sont les idées diverses représentées par les divers peuples qu’il faudrait atteindre et décrire… »

Il y a quelque modestie chez un écrivain à mettre une pareille prose à côté de la sienne. Pour ma part, j’en suis tout ébloui. Que manque-t-il donc à cette doctrine ? Rien, si ce n’est un certain, complément de doctrine : dès qu’on admet que l’histoire a ses lois comme la nature, il convient de prendre garde que toute loi est flanquée d’une force par où elle s’accomplit, que dans l’histoire cette force est l’esprit humain, avec tout ce qui s’y loge du passé, tout ce qui s’y reflète du dehors, à quoi les institutions s’accommodent et se proportionnent, de sorte que cet esprit est à considérer, non-seulement dans ses bases, mais dans ses phases et dans l’évolution de ses aptitudes croissantes.

Ainsi la métaphysique pas plus que la religion n’a compris le monde moderne, et n’est en état de répondre aux perplexités modernes. C’est par ce vide, par ce silence que religion et métaphysique ont suscité le positivisme ; mais cette doctrine a-t-elle rempli la place vacante et suppléé aux oracles qui se taisent ? Je ne le crois pas, et j’essaierai de le faire voir dans une prochaine étude.


DUPONT-WHITE.