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l’homme; je ne puis me faire aucune idée du pouvoir qu’il convient de lui attribuer soit sur lui-même, soit sur ses semblables.

Comment ne songez-vous pas à cette difficulté, quand, au sortir de vos dithyrambes sur la grandeur de l’homme, vous passez à la question du gouvernement, de son mécanisme, de ses limites et de sa compétence? Souffrez qu’au seuil même de vos recherches je vous arrête court et vous soumette un doute. A quoi bon un gouvernement, c’est-à-dire une force du dehors contre des êtres tels que vous venez de les décrire avec tant de complaisance, accomplis comme on ne l’est pas, pétris de qualités aimables et sûres, doués d’un gouvernement intime qui est leur excellence naturelle? Arrière toute contrainte! Livrez-les à eux-mêmes : la force n’est pas faite pour eux, ils n’en ont pas besoin. — Ah! dites-vous, c’est que quelque chose résiste en eux à l’empire de ces impulsions saines et généreuses, lesquelles ont besoin dès lors d’un renfort, d’une contrainte extérieure pour se faire obéir. — Voilà qui change la thèse. Alors prenez la peine d’examiner quel est le fond de cette résistance dont vous reconnaissez les effets, quelle est la valeur, peut-être le droit, de cette force opposée aux forces morales, comment elle s’équilibre avec l’intelligence et la conscience, jusqu’à quel point elle doit être combattue, tolérée ou même érigée en pouvoir. Cela veut être étudié de près. Si l’égoïsme est en nous avec la force d’un instinct, vous avez à rechercher trois choses : d’abord comment le réprimer dans le mal qu’il fait, ensuite comment le suppléer dans le bien qu’il ne fait pas, enfin comment l’amender en soi, et ce que l’histoire nous apprend sur la culture dont il est susceptible, car ici elle nous apprend quelque chose, le genre humain ayant laissé derrière lui bien des énormités qui déformaient son enfance. Vous avez surtout à montrer comment il peut être chargé lui-même de toute cette besogne sur lui-même, car n’oubliez pas un instant, quand vous parlez de liberté politique pour les hommes, que ce mot est impropre, que vous parlez de pouvoir, et de pouvoir souverain, à leur conférer. Dieu me préserve de résoudre ces questions, ou même d’en tracer le programme! C’est bien assez de montrer par aperçu où pourraient se porter les recherches, où pourrait même se trouver un germe de solution.

Il s’agit de tempérer l’égoïsme. Or qui fera cet office? Est-ce le gouvernement? Alors mettez la force entre ses mains, une force croissante comme la vie et l’activité des hommes dans une société progressive. C’est le moyen, je suppose, de contenir l’égoïsme des gouvernés; mais qui modérera celui des gouvernans, cet égoïsme auquel est sujet même un gouvernement national, à base élective et populaire? Si le modérateur est l’opinion, il faut qu’elle soit libre;