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est la valeur respective de ces facultés très différentes, comment elles s’équilibrent ou se contrarient, ce qu’elles ont en elles pour répondre aux fins diverses de l’humanité, celle par exemple de la liberté. Je prends un exemple de ces recherches qui ont été négligées au grand détriment de notre éducation politique, et je le choisis dans un ordre de choses qui touche à cette terrible énigme du droit des peuples ou du droit des hommes sur eux-mêmes. Chaque philosophe nomme et classe comme il l’entend les facultés constitutives de l’homme sous le chef de l’entendement, de la sensibilité, de la volonté. On pourrait tout aussi bien diviser l’homme en principes moraux et en principes égoïstes, — les uns par lesquels nous sommes portés et prévenus passionnément en faveur de nous-mêmes, — les autres, qui nous enseignent le droit, la justice, c’est-à-dire quelque chose en faveur de nos semblables. Il va sans dire que le conflit de ces élémens est naturel : les psychologues l’entendent bien ainsi; mais quelle est la puissance respective de ces facultés et l’issue ordinaire de cette lutte? Quelle est la force d’impulsion ou de résistance qui appartient à ces antagonistes ? quelle est leur place, leur dimension et leur importance à chacun dans notre nature? En outre, que devient dans la société notre nature ainsi faite? Et la société elle-même, ainsi composée, que devient-elle à l’école des siècles et de la sagesse qu’ils apportent, à l’épreuve du présent et des nouveautés qu’il suscite? Voilà ce qu’il faudrait savoir. Qu’importe l’essence humaine considérée en elle-même, dans ses traits généraux, en l’air pour ainsi dire, en dehors de l’éducation qu’elle tient de l’état social et des circonstances où cette éducation doit se déployer? De grâce, parlez-nous un peu des races, du climat, de la tradition, de tout cet ensemble physique et moral où apparaît l’individu, que je n’appelle pas pour cela un détail ! Depuis quand est-il permis d’étudier les êtres, les espèces surtout, sans étudier soit leurs milieux, soit leur puissance intime de variation, de transformation? Pourquoi la philosophie est-elle une définition immuable de l’humanité? pourquoi s’obstine-t-elle à nous montrer le fond humain et rien de plus quand la littérature suit pas à pas toutes les nuances, tous les développemens qui viennent s’ajouter à ce fond? C’est là ce qui fait de la littérature une expression sociale : aussi bien c’est à ce prix seulement que la philosophie sera une influence, un enseignement politique. On ne sait rien sur les droits et sur les chances de l’humanité tant que l’on connaît seulement sa physionomie générale, tant qu’on ignore ces choses particulières qui la transforment au point de mettre un abîme entre les anciens et les modernes, entre l’habitant des tropiques et le vrai descendant des plateaux de la Haute-Asie. Ce qu’on voudrait connaître, c’est l’homme moderne et occidental, héritier de tout le passé hu-