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de bien-être. Ne voyez-vous pas qu’on redresse les hommes en leur parlant de liberté, qu’on les exalte même, que l’essentiel est de perdre terre par quelque endroit, de courir à quelque idéal, ce qui est une manière de regarder le ciel ?

Mais je flatte étrangement l’église, à parler comme je fais de son silence et de son inertie. La vérité est qu’elle ne prononce pas sans colère le nom de liberté. Elle avait à prendre, en ce qui touche le droit des peuples, un de ces trois partis : acquiescement, abstention, hostilité. C’est le dernier qu’elle a préféré. Ici même on a fait naguère un tableau des doctrines politiques de l’église que les lecteurs de la Revue n’ont sûrement pas oublié. On l’a fait, non pas avec ces déclamations vagues et grossières qui éloignent tout d’abord certains lecteurs, même des plus faciles à convaincre, mais avec une sobriété de mots et de ton, avec une abondance de preuves et de détails qui sont peut-être pour quelque chose dans ce bel état où est parvenue la question romaine[1]. Rien ne ressemble plus à cette forte étude que telle note diplomatique récente où le ministre des affaires étrangères de l’empire déplorait, avec des larmes dans le style, la fréquente et malheureuse opposition du saint-siège avec les idées de ce temps. Le jour où le gouvernement français voudra parler à l’opinion, il trouvera un exposé de motifs, ou, si vous aimez mieux, un exposé de prétextes qui ne laisse rien à désirer dans les faits et les documens dont M. Emile de Laveleye a déroulé le détail. — Tantôt ce sont des mandemens, des encycliques, des allocutions qui déclarent la liberté de la presse très funeste, très détestable, et dont on ne peut avoir assez d’horreur, ou même qui traitent la civilisation moderne comme « la source d’où viennent tant de maux déplorables, tant de détestables opinions, tant d’erreurs et tant de principes absolument contraires à la religion catholique et à sa doctrine ; » — tantôt ce sont des traités conclus par le saint-siège en Amérique, et même en Europe, pour supprimer la liberté des cultes, la liberté de la presse, la liberté des associations, la liberté de l’enseignement, pour attribuer en ces matières tout pouvoir à l’évêque, pour rétablir les tribunaux ecclésiastiques, le droit d’asile, la dîme elle-même ! Cette liste est longue, mais il eût été fâcheux de ne pas aller jusqu’au bout, où l’on voit si l’église est fidèle aux choses du passé. — Dans ce qui arrive de nos jours, elle ne comprend que ce qui la blesse; dans l’extermination de la Pologne, elle ne ressent que le traitement fait à certains évêques, se défendant avec force « d’approuver les mouvemens inconsidérés de ce pays, réprouvant et con-

  1. La Belgique et la crise actuelle, par M. Emile de Laveleye. Revue du 1er août 1864.