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promiscuité est seule capable de l’arrêter. Dans cette liberté des intelligences, une chose devait arriver, pas moins que l’émancipation des rois, des peuples et même des papes. On pourrait dresser le catalogue de toutes les découvertes humaines; il n’en est pas une qui vaille cette fameuse distinction propre à l’Occident, du temporel et du spirituel, pas même l’imprimerie. Dès que les deux pouvoirs se confondent ou s’entendent contre l’esprit humain, l’imprimerie ne peut servir que comme elle sert en Espagne, où tout le monde sait lire et ne lit que ténèbres.

Qui donc a inventé cela? Que ce soit un pape ou un roi, je le félicite et l’honore de tout mon cœur. Il s’est ruiné par là, ou plutôt il a ruiné tout absolutisme, et livré passage au pouvoir des peuples, à la souveraineté de la raison. Nous dirons simplement, si vous trouvez ces expressions un peu ambitieuses, que de là est née une certaine liberté des esprits, une certaine prépondérance des classes éclairées, qui, après tout, est la seule force connue pour mener passablement les affaires de ce monde. On en a fait une expérience qui n’est pas regrettable. Elle a commencé le jour où le monde s’est demandé s’il ne payait pas trop cher la dose de bon ordre et de sécurité que lui procuraient ses gouvernemens, pasteurs des peuples pour les dévorer, s’il n’y aurait pas avantage pour les peuples à se gouverner eux-mêmes, au lieu de ces dominations extérieures et coûteuses faites comme des exploitations, si la croyance des hommes n’était pas leur droit et pouvait jamais être un crime, si le travail n’était pas leur bien, leur patrimoine naturel, et pouvait jamais leur être vendu, octroyé comme un privilège, si la cruauté était nécessaire à la religion, aux juges, au fisc, si l’homme des champs avait besoin d’être attaché à la glèbe pour la cultiver, si les hommes avaient besoin d’être partagés en castes pour assurer l’exécution des œuvres utiles à la société, des services publics, s’ils n’avaient pas entre eux assez de similitude pour être traités par la loi comme des égaux, s’il était bon que la femme et l’enfant subissent un pouvoir arbitraire, s’il fallait éterniser un état social tout à l’avantage de quelques-uns, tout à la charge du plus grand nombre.

On comprend bien que ces griefs n’apparurent pas tous à la fois, graves et divers comme ils sont. Cette clameur de haro fut successive. Le droit national qui conclut contre la royauté absolue, le droit commun qui est la négation des castes, le droit individuel qui exclut les religions d’état et toutes les intrusions de l’état dans la vie privée, sont choses très distinctes qui ne s’enchaînent pas les unes les autres en fait ni en logique : on n’en fit un corps de droit, un ensemble constitutionnel que dans notre déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Chacun de ces griefs eut son tour, sous