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semblables à nous, car à quoi auraient-ils ressemblé? Tout ce qui arrivait sans que les hommes y eussent part eut son dieu, auquel la crainte ou l’espérance fit bientôt rendre un culte, et ce culte fut encore imaginé d’après les égards qu’on pouvait avoir pour les hommes puissans, car les dieux n’étaient que des hommes plus ou moins puissans et plus ou moins parfaits, selon qu’ils étaient l’ouvrage d’un siècle plus ou moins éclairé sur les vraies perfections de l’humanité. Quand les philosophes eurent reconnu l’absurdité de ces fables, sans avoir acquis néanmoins de vraies lumières sur l’histoire naturelle, ils imaginèrent d’expliquer les causes des phénomènes par des expressions abstraites, comme essences et facultés, expressions qui cependant n’expliquaient rien, et dont on raisonnait comme si elles eussent été des êtres, de nouvelles divinités substituées aux anciennes. On suivit ces analogies, et on multiplia les facultés pour rendre raison de chaque effet. Ce ne fut que bien tard, en observant l’action mécanique que les corps ont les uns sur les autres, qu’on tira de cette mécanique d’autres hypothèses que les mathématiques purent développer et l’expérience vérifier. »

On divisait autrefois la floraison de l’esprit humain en différentes époques; il y avait l’âge étrusque, le siècle de Périclès, le siècle de Léon X, le siècle de Louis XIV. Turgot et les positivistes ont changé cela contre une vue plus profonde de l’esprit humain, le considérant surtout dans l’accroissement de ses facultés, dans ses fruits plutôt que dans ses fleurs.

Il me semble qu’on saisit bien ici comment a pu naître la philosophie positive, comment une école a paru pour définir et absorber tout par la science, pour y enchaîner, pour y borner tout effort, toute aspiration de l’homme. A voir le chemin qu’a suivi l’intelligence humaine, passant de l’imagination à l’observation, méprisant les hypothèses pour en venir à l’expérience, rencontrant, une fois parvenue à ce point, une vérité pleine de bienfaits (celle des sciences naturelles et exactes), qui la pénètre d’admiration et de gratitude,... en présence, dis-je, de ce spectacle, certains esprits ont pu croire que la science, avec ses méthodes, ses acquisitions et même ses limites, était le dernier mot de l’esprit humain, que celui-ci devait s’arrêter avec elle, se désintéresser de ce qu’elle ignorait. Si la science est la chose progressive entre toutes parmi des êtres éminemment destinés au progrès, la science doit leur suffire. Comme elle rayonne avec ses clartés croissantes sur toute la condition de ces êtres, comme elle leur fait de la force, du bien-être, du droit, comme elle a des règles de conduite pour l’individu et pour la société, il est vrai de dire qu’elle embrasse tout, qu’elle ne laisse rien échapper des intérêts humains, et ne s’arrête qu’où finit