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Les spéculateurs à outrance qui avaient été les principaux auteurs de l’enchérissement des capitaux ont subi eux-mêmes sans murmurer l’effet naturel de leurs propres opérations. Le Times voyait dans cet acquiescement unanime de la communauté financière et commerçante aux règles suivies par la Banque le résultat de la bonne éducation économique du public anglais. Il est curieux que ce soit en France, où la crise a été bien moins sévère, qu’une clameur si passionnée et si mal justifiée par la valeur des critiques, soit élevée contre la Banque, obligée de varier le prix du crédit sous la pression des circonstances qui ont agi en 1864 sur l’ensemble du monde financier et commercial. Sans doute la lutte engagée à propos de la Banque de Savoie et des calculs d’intérêts privés, ainsi que le remarque la Banque dans sa supplique, ont été la principale cause de cette levée de boucliers ; mais il est juste d’observer aussi que si la controverse s’est assoupie en Angleterre, que si les doctrines qui ont inspiré l’acte de sir Robert Peel y ont acquis l’autorité de la chose jugée, la question de la conduite des banques dans la fixation du taux de l’intérêt et dans les mesures qui garantissent la conservation d’une réserve métallique suffisante pour assurer la convertibilité des billets a été pendant cinquante ans dans ce pays l’objet des plus vives polémiques et des enquêtes parlementaires les plus approfondies. Ceux qui sont au courant de l’histoire des idées de crédit en Angleterre depuis le fameux comité de 1810, depuis Horner et Ricardo jusqu’au temps de Mill, de Wilson, de lord Overstone et de M. Mac-leod, sourient lorsqu’ils voient M. Isaac Pereire se flatter d’être un homme de progrès en soutenant la théorie de l’immobilité de l’intérêt et de l’alimentation de l’encaisse par des expédiens empiriques. M. Isaac Pereire a eu en Angleterre un nombre infini de précurseurs, et ces précurseurs ont toujours appartenu aux classes rétrogrades et au torysme. M. Isaac Pereire, qui ne veut pas que les capitaux se prêtent à leur prix naturel, déterminé par le rapport de l’offre et de la demande, s’imagine appartenir à l’école de la liberté du commerce. Or dans cette lutte d’un demi-siècle au bout de laquelle ont prévalu les vrais principes du commerce de banque, l’école libérale en Angleterre a toujours été tout entière pour la règle de la variation de l’escompte et du maintien de l’encaisse métallique. C’est le parti de la prohibition et de la protection, le parti qui aurait voulu que le blé, comme pendant la guerre, se payât toujours plus de 100 shillings le quarter, qui voulait, devançant M. Isaac Pereire, que le taux de l’escompte fût toujours bas, et qui à toutes les crises accusait la Banque de ne point fournir assez de billets à la circulation. Ces vieux et opiniâtres rétrogrades, qui n’ont jamais pardonné à sir Robert Peel l’acte de 1819 et la reprise des paiemens en espèces, ont enfin disparu, comme le Times s’en félicitait, de la scène de la politique et des affaires, et n’ont plus laissé après eux que le souvenir fâcheux qui s’attache aux préjugés vaincus. On peut en France prédire le même sort à ceux qui ont accepté leur