Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/542

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

église, c’était la combinaison de certains intérêts ecclésiastiques groupés et fondus dans une organisation politique particulière, c’était l’alliance du spirituel et du temporel, alliance dissoute par la révolution de 1789. Cette alliance ayant été rompue, l’église en France est devenue ultramontaine, et ne peut être rien autre. Il y a donc un contre-sens si ce n’est une injustice, à s’efforcer de lui imposer les charges d’un état de choses dont elle ne possède plus les avantages. En matière d’appel comme d’abus seulement, voyez quelle différence il y a entre le tribunal d’autrefois et le tribunal d’aujourd’hui ! Il y avait des conseillers clercs dans le parlement devant lequel pouvait être traduit un évêque ; ce parlement jugeait et condamnait comme des attentats contre l’état les attaques qui se produisaient contre le dogme religieux. Si ce parlement eût existé aujourd’hui, il eût condamné sans doute M. l’évêque de Moulins, mais il eût fait brûler en Grève la Vie de Jésus de M. Renan, et sous sa juridiction les rédacteurs de journaux que M. l’évêque de Poitiers vient de condamner comme hérétiques feraient bien d’aller soutenir leurs opinions en Hollande.

L’intervention de l’état dans le débat religieux actuel au nom de formules surannées nous paraît donc une diversion regrettable. Si le gouvernement tenait à exprimer sa désapprobation touchant certaines prétentions de l’ordre politique émises par l’encyclique, il pouvait le faire avec plus de gravité et de bien moindres inconvéniens par des déclarations publiques imprimées dans le journal officiel ou prononcées dans les chambres. Une des conséquences les plus regrettables du mode d’interventions qu’on a choisi serait, nous le répétons, de faire perdre de vue par de mesquines tracasseries et des récriminations querelleuses le fond du débat que la publication de l’encyclique a si nettement posé. La papauté a repris dans cette manifestation solennelle toutes les prétentions qu’elle a pu émettre dans le cours de son existence sur la subordination de la puissance civile à la puissance spirituelle, organe de l’unité dogmatique. La société moderne est fondée sur un principe contraire : elle entend vivre indépendante de toute unité dogmatique religieuse ; elle ne reconnaît d’autre droit à l’autorité religieuse que celui qu’elle tient, en dehors du domaine civil, de la libre adhésion des consciences. La société moderne ignore le dogme, non parce qu’elle est athée ou indifférente, mais parce que, bornée par sa destination terrestre, elle proclame, comme le disait si bien Royer-Collard, son incompétence à juger des dogmes qui règlent la destinée de l’homme au-delà de la mort. La société moderne est donc fondée sur la séparation du spirituel et du temporel, et ne peut se concilier avec les exigences légitimes et ! les justes droits de la conscience religieuse qu’au moyen de la réalisation complète des garanties de la liberté politique. Or les libertés politiques assurent à la religion et aux cultes divers qui la peuvent représenter tous les droits que la conscience religieuse peut réclamer, le droit de posséder, le droit de réunion, le droit d’association, le droit de prosélytisme par la presse et par la parole. Dans l’état libre,