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organiques édictés à la suite du concordat ont voulu faire revivre, a cru devoir interdire aux évêques la lecture d’une portion de l’encyclique. Plusieurs évêques, n’ayant pas tenu compte de cette interdiction, ont été ou seront cités devant le conseil d’état en appel comme d’abus. Ainsi, en retirant aux évêques une liberté qui était, pour eux et pour les catholiques qui n’entendaient point faire divorce avec la société moderne, souverainement embarrassante, on leur a donné l’attitude plus intéressante et plus enviée de pasteurs arbitrairement gênés dans l’exercice de leurs fonctions religieuses, on les a ornés d’un air de persécution. Or, en agissant ainsi, on a mis en œuvre une simple fiction, comme si l’on se figurait que c’est avec des fictions que l’on peut résoudre la lutte aujourd’hui engagée sur la question de la papauté temporelle. L’interdiction de lire une encyclique est aujourd’hui une fiction au plus haut degré. Ah ! il n’en était point ainsi lorsque Napoléon promulguait les articles organiques. Non-seulement alors la liberté de la presse n’existait point, mais le premier empereur était le souverain maître de la publicité : il la façonnait, la mesurait ou l’interdisait à son gré. Quand donc il faisait défense de publier une bulle pontificale, cette bulle était vraiment soustraite en fait à la connaissance du public. On sait ce qu’il en coûta à l’abbé d’Astros de placarder une bulle de Pie VII à la porte de Notre-Dame, et avec quelle sévérité insultante fut traité un membre du conseil d’état, M. Portalis, pour n’avoir pas su intercepter la communication pontificale. Aujourd’hui nous n’avons pas, il est vrai, la liberté de la presse, mais nous avons la publicité impérieusement nécessaire des grands documens d’état. Ces documens sont pour le public une propriété qu’aucun excès de pouvoir ne peut lui ravir. L’encyclique a donc été publiée entièrement par tous les journaux, elle a été lue par tout le monde. Quiconque veut s’édifier à la méditation de l’allocution pontificale l’a sous la main. En interdisant aux évêques de lire en chaire et de publier eux-mêmes ce document, on n’atteint donc pas l’objet réel que se proposait l’auteur des articles organiques. On frappe les évêques d’une vexation gratuite, on les affranchit de l’embarras d’une situation délicate, on les met à même de prendre une contenance de victimes. Les empêche-t-on d’exprimer publiquement leur adhésion à l’encyclique ? Pas le moins du monde, puisque l’interdiction qui leur est signifiée suppose leur adhésion acquise d’avance, et qu’il leur est loisible de répondre par des lettres publiques à la lettre publique du ministre. L’appel comme d’abus, le jugement invoqué du conseil d’état est une autre fiction et un autre anachronisme. Qu’y a-t-il de commun entre la France moderne et la France de l’ancien régime, et au point de vue politique entre l’église de France et l’église gallicane d’autrefois ? L’appel comme d’abus avait un sens et une efficacité dans les institutions civiles et religieuses de l’ancienne monarchie. L’église et l’état étaient unis par des solidarités étroites dont pas une aujourd’hui ne subsiste. Ce que l’on appelle l’église gallicane ne résultait point d’une différence dogmatique ; ce qui constituait cette