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pas eu plus de succès que la première. Les deux systèmes écartés, on ne voit pas trop quel aliment régulier et important on pourra donner à l’activité du conseil privé reconstitué et placé sous la présidence du prince Napoléon. Nous ne voyons que deux ordres de questions dont se puisse occuper un conseil supérieur de gouvernement. Il y a d’abord les affaires telles qu’elles naissent chaque jour de la vie politique et administrative du pays, par exemple les résolutions que peuvent commander des événemens extérieurs, l’organisation que tel ou tel dessein politique veut que l’on donne aux forces militaires ou navales, les ressources financières qu’il faut trouver pour subvenir à des dépenses nécessaires, et, tous les actes de cet ordre. Or ces affaires sont de la compétence exclusive des ministres dans les départemens desquels elles se présentent. Il y a en second lieu les grandes mesures par lesquelles s’accomplit le développement des institutions ; ces mesures, dans la constitution de 1852, dépendent exclusivement de l’initiative du chef de l’état. Il ne nous paraît pas probable que le chef de l’état soumette aux délibérations d’un conseil de telles mesures, qui sont l’exercice même du pouvoir, constituant qu’il s’est réservé. Le souverain n’a pas pris l’avis du conseil privé pour donner le décret du 24 novembre, et s’il croit utile un jour de tenir la fameuse promesse du couronnement de l’édifice, il n’est point vraisemblable qu’il fasse décider par les conseillers privés de l’opportunité d’un acte si considérable et depuis si longtemps attendu. Quelle est donc la pâture qui reste au conseil privé ? Malgré les explications données par le Moniteur, il n’est point aisé de l’apercevoir. Le courant des affaires qui se produisent pour ainsi dire d’elles-mêmes lui fait défaut ; les actes d’initiative extraordinaire ne sont pas de son ressort. Il n’y a plus alors qu’une catégorie de questions vagues et arbitraires qui n’ont ni l’urgence et l’intérêt des affaires proprement dites, ni l’importance des questions constitutionnelles fondamentales, un ordre de mesures qui rentrent, dans la politique spéculative et facultative. Pour ces questions-là, le conseil privé sera un haut comité d’études, une sorte de quintessence du conseil d’état. Il ne sera pas autre chose, car nous n’admettons point l’analogie que le Moniteur cherche à établir entre le conseil privé actuel et le conseil de l’ancienne monarchie. Une portion des membres de celui-ci étaient des fonctionnaires hiérarchiquement inférieurs aux ministres ; puis l’ancien conseil était un tribunal administratif en dernier ressort, et tout un ensemble d’affaires ordinaires lui arrivait régulièrement, sur lesquelles il portait des décisions suprêmes et sans appel.

La législation et les pratiques gouvernementales chez nous présentent à chaque instant les confusions et les disparates les plus étranges entre les traditions et les routines du passé et les principes nouveaux, que la révolution française a introduits dans la politique. Ces pans de murs ruinés qui demeurent encore debout au milieu de constructions qui sont encore loin d’être achevées composent un édifice bizarre plein d’absurdités et de contre-sens. L’application des routines du passé à un présent dont les condi-