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son maître ; naturellement poltron, il s’étonnait de la hardiesse de miss Johanna et se promettait, mais en vain, de surmonter cette pusillanimité dont il avait honte. Heureusement pour lui, sa place était à l’arrière-garde, et personne n’était témoin des accès de frayeur qui venaient l’assaillir.

L’été régnait désormais dans ces régions au climat extrême, un été brûlant souvent troublé par des orages. Des nuées de mouches à la piqûre venimeuse s’agitaient sous l’ombre des forêts ; c’était au bord des eaux quelle gros gibier venait se réfugier, malgré les insectes, afin de pouvoir se désaltérer et se baigner. Les chasseurs, épars le long des lacs, faisaient lever çà et là des chevreuils qui passaient rapides comme la flèche en bondissant à travers les halliers. Plus d’un d’entre ces ruminans au pied léger tomba sous la balle des tireurs, et la chasse se poursuivait gaiement.

— En vérité, miss Johanna, dit sir Henri à la jeune fille, qui galopait près de lui, vous traversez les bois avec l’ardeur et la grâce de la déesse des chasseurs… Désormais je ne veux plus vous nommer que miss Diana !

— Votre compliment vient fort mal à propos, répliqua la jeune fille, je crois vraiment que mon cheval va m’emporter… Il se cabre… Holà ! Bill !

— Le vieux Bill est bien loin derrière nous, dit sir Henri ; tenez la bride d’une main ferme et frappez avec la cravache… Bravo ! le voilà qui marche ; le tout est de savoir s’y prendre. Caressez-le maintenant.

La jeune fille un peu émue passait sa main sur la crinière de son cheval, qui allongeait la tête et soufflait avec force ; celui que montait sir Henri se mit à frissonner et demeura immobile, les oreilles pressées, les naseaux ouverts. — Bien, dit le hardi chasseur, nous allons avoir une aventure ; faites signe à Bill d’arriver au plus vite, il tiendra nos chevaux, et nous aborderons l’ennemi à pied…

— Quel ennemi ? demanda miss Johanna épouvantée.

— Bill, accourez, old fellow, prenez nos chevaux et restez à cette place, dit sir Henri. Parlant ainsi, il aida miss Johanna à descendre, lui remit entre les mains le fusil doublé, et marchant avec précaution ; vers un endroit fangeux, couvert d’herbes épaisses et de buissons épineux : — Tenez, missi Johanna, voici l’ennemi…

Un ours au pelage noir, à l’œil fauve, se levait en grognant ; il avait l’air de gourmander le chasseur malappris qui le troublait dans ses méditations.

— A vous de tirer, miss ! dit sir Henri. La jeune fille contemplait avec effroi la lourde bête au regard sournois, qui semblait compter sur sa force pour repousser l’attaque.

— A vous, miss Johanna ! reprît sir Henri en lui faisant un rempart