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flammes du foyer. Tout à coup cependant ils firent silence, et maître Toby se leva en portant la main sur la carabine appuyée près de lui contre un tronc d’arbre : l’ombre d’un cavalier marchant vers le camp des lumberers avait suffi à causer cette alerte. C’est que dans le désert comme au fond des bois chacun est le centre de tous les bruits d’alentour, et l’homme a peur de l’homme, seul ennemi qui puisse l’attaquer à armes égales.

Le cavalier s’était arrêté à une cinquantaine de pas des bûcherons. — Mes amis, leur cria-t-il, voulez-vous permettre à un chasseur égaré de partager votre bivac pour cette nuit ?

— Oui, répliqua sèchement Toby Harving, un peu honteux d’avoir eu peur d’un cavalier solitaire perdu dans la forêt.

— En vérité, continua le chasseur en mettant pied à terre, je rends grâces à Dieu de vous avoir rencontrés. Mon cheval n’en peut plus, et je suis mort de faim.

— Vous n’avez donc rien tué ? demanda le maître flotteur avec un sourire ironique… Vous avez pourtant là un beau fusil à deux coups !

— Oh ! la chasse n’a pas été trop mauvaise ; voyez plutôt.

Parlant ainsi, le chasseur détacha de la selle de son cheval une paire de grosses gelinottes et une demi-douzaine de pigeons sauvages ; puis il ajouta : — Prenez ce gibier, s’il peut vous être agréable, mes amis, et donnez-moi tout de suite quelque chose à manger…

— Du porc et du biscuit, voilà tout ce que nous avons, dit le maître flotteur.

— Cela suffit au voyageur affamé, répliqua le chasseur. Je suis parti depuis hier matin des Grand Falls ; il y a tout au plus quarante ou cinquante milles d’ici en ligne droite, n’est-ce pas ? La nuit dernière, après avoir dormi sous la cabane d’un pêcheur du lac Témisquata, je me remettais en route, lorsque j’ai levé un vieux caribou qui m’a entraîné plus loin que je ne voulais ; en galopant dans les halliers, mon cheval s’est abattu, j’ai roulé à terre, et j’ai perdu mon briquet. Vainement j’ai tâché d’allumer du feu avec des herbes que je croyais sèches et que l’humidité avait pénétrées ; l’amorce de mon fusil n’a jamais pu leur faire prendre feu, et voilà comment il m’a été impossible de cuire mon gibier.

Tandis que le chasseur parlait ainsi, il attaquait vigoureusement la pièce de porc salé, et maître Toby, assis près de lui, cherchait à deviner ce que pouvait être cet étranger, parfaitement équipé, qui semblait battre la forêt pour son plaisir. Les autres lumberers s’étaient retirés sous l’abri de feuillage qui formait leur camp, et ils s’enveloppaient dans leurs couvertures de laine pour dormir. La présence de ce cavalier avait fait cesser leurs joyeux ébats ; il y avait dans ses manières aisées et dans son langage plus correct que