Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/503

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
TOBY LE LUMBERER
SCENES DE LA VIE CANADIENNE


I. — LA RIVIERE SAINT-JOHN.

Que sont devenues les sombres et majestueuses forêts qui s’étendaient depuis la rive droite du Saint-Laurent jusqu’à la Nouvelle-Ecosse, couvrant ainsi la presque totalité du vaste territoire connu jadis sous le nom d’Acadie ? Elles sont tombées peu à peu sous la cognée du bûcheron ; des émigrans, sujets de la Grande-Bretagne, ont défriché le sol et desséché les marais, bâti des cottages et fondé des villes là où les Canadiens français allaient, en compagnie de leurs amis les sauvages, chasser l’ours noir et le caribou. Le voyage de Québec à Saint-John, qu’on n’eût pu faire en moins de six semaines, à travers les bois, la hache à la main, en se guidant sur les étoiles, se fait maintenant en une ou deux journées, sur les rails d’un chemin de fer. Tout ce changement s’est accompli en moins d’un demi-siècle. Il n’a fallu que peu d’années à l’esprit moderne pour répandre l’activité à travers ces contrées incultes et détruire à tout jamais l’aspect grandiose de ces paisibles solitudes. La terre appartient à l’homme, c’est à lui de la rendre féconde, par son labeur et par son énergie, et chacun d’applaudir à ces transformations qui décuplent la richesse des peuples. Toutefois ceux qui ont vu de leurs propres yeux le commencement de cette guerre acharnée entreprise contre le désert par l’homme civilisé, ceux, qui ont contemplé les premières éclaircies que le pionnier pratiquait en se jouant, par le fer et la flamme, dans les épais massifs des forêts vierges » ceux-là ont conservé un souvenir pénible de ces spectacles de destruction, et l’image des beautés de la nature à jamais perdues demeure gravée dans leur esprit en traits ineffaçables. Assez d’autres