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la plus foudroyante les fauteurs de contre-révolution, et la reine consternée écrit à son frère : « Nous voilà retombés dans le chaos et dans toutes nos défiances… M… a prononcé un discours de violent démagogue à épouvanter les honnêtes gens. Voilà encore nos espérances toutes renversées de ce côté ; le roi est indigné et moi désespérée… Cet homme est un volcan qui mettrait le feu à un empire : comptez donc sur lui pour éteindre l’incendie qui nous dévore !… » M. de La Marck, ce galant homme d’autant de sens que de dévouement, a fort à faire pour rassurer la reine, pour lui persuader que, si Mirabeau a des par-delà, comme il dit, il est de bonne foi dans son zèle monarchique. Ainsi marchent ces relations, empreintes d’effroi d’une part, de hauteur de l’autre, de défiance des deux côtés. Mirabeau eût-il sauvé la monarchie, s’il eût vécu ? Dans de telles conditions, c’est certainement fort douteux. Sa mort soudaine ne ravivait pas moins tous les découragemens de Marie-Antoinette, gagnée malgré tout par cet homme qu’elle redoutait et dont elle sentait la puissance.

Et Barnave, que faut-il pour le rapprocher de la reine, pour combler l’abîme qui semble d’abord s’ouvrir entre eux ? Il ne faut rien moins que la malheureuse évasion du 20 juin 1791 et l’arrestation de la famille royale à Varennes. Un sentiment élevé de pitié respectueuse est ici le grand négociateur improvisé par le hasard des événemens. Choisi par l’assemblée avec Pétion et Latour-Maubourg pour aller recevoir cette famille de captifs et la ramener à Paris, Barnave ne peut se défendre d’un attendrissement profond pour cette « mémorable infortune » dont le souvenir se grave en traits ineffaçables dans son imagination et lui reviendra lorsqu’il sera lui-même prisonnier et près de monter à l’échafaud. Pendant tout ce douloureux voyage de Varennes à Paris, placé dans la même voiture avec la famille royale et Pétion, Barnave se conduit après tout en homme bien né qui contient le secret de son émotion. Il parle peu, mais sa tenue, ses manières sont le muet témoignage de ce qu’il ressent, tandis que son compagnon se conduit en plébéien grossier, se mettant à l’aise, tirant les cheveux du petit dauphin, heurtant le roi, allant même jusqu’à croire sa vertu menacée par la pieuse Mme Elisabeth ! La reine saisit bien vite le contraste, et elle est touchée de la généreuse délicatesse du jeune tribun, à qui elle pardonne d’un coup tout son passé. À partir de ce moment, Barnave n’est plus un ennemi ; c’est un ami voilé, un conseiller secret, et lui aussi il se met à l’œuvre à son tour, reprenant le travail de Mirabeau. Il réveille une dernière espérance dans le cœur de la reine, et il est telle lettre de cette époque à l’empereur Léopold où se laisse facilement voir cette influence nouvelle. Barnave soutint plus