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de ses amis et aux siens. Il est si rare d’être tout à fait sincère, je ne dis pas seulement avec les autres, mais avec soi ! On est si ingénieux à se prouver qu’on a mille raisons pour faire ce qu’on fait sans raison, par intérêt ou par caprice ! Mais, quand Cicéron veut être franc, quand il n’a plus aucun motif de se tromper lui-même ou d’abuser les autres, il parle d’une autre façon. Alors la cause de Pompée devient bien réellement celle de la justice et du droit, celle des honnêtes gens et de la liberté. Sans doute Pompée avait rendu de bien mauvais services à la république avant d’être amené par les circonstances à la défendre. On ne pouvait pas se fier entièrement à lui, et l’on redoutait son ambition. Dans son camp, il affectait des airs de souverain, il avait des flatteurs et des ministres. « C’est un petit Sylla, dit Cicéron, qui rêve aussi à des proscriptions, syllaturit, proscripturit. » Le parti républicain aurait certainement pris un autre défenseur, s’il avait été libre de le choisir ; mais au moment où César rassembla ses troupes à Rimini, ce parti, qui n’avait ni soldats, ni généraux, fut bien forcé d’accepter les secours de Pompée. Il les accepta comme ceux d’un allié dont on se défie et qu’on surveille, qui deviendra peut-être un ennemi après la victoire, mais dont on ne peut pas se passer pendant le combat. Au reste, quoique Pompée ne rassurât pas tout à fait la liberté, on savait bien qu’avec lui elle courait moins de dangers qu’avec César. Il était ambitieux sans doute, mais plus ambitieux d’honneurs que de pouvoir. Deux fois on l’avait vu arriver aux portes de Rome avec une armée. La démocratie l’appelait, il n’avait qu’à vouloir pour se faire roi, et deux fois il avait licencié ses troupes et déposé les faisceaux. On l’avait fait consul unique, c’est-à-dire presque dictateur, et au bout de cinq mois il s’était volontairement donné un collègue. Ces précédens faisaient croire aux républicains sincères qu’après la victoire il se contenterait de titres sonores et d’éloges pompeux, et que l’on paierait ses services, sans danger pour personne, avec de la pourpre et des lauriers. En tout cas, s’il avait réclamé autre chose, on peut être certain qu’on le lui aurait refusé et qu’il aurait trouvé des adversaires dans la plupart de ceux qui s’étaient faits ses alliés. Il y avait dans son camp bien des gens qui n’étaient pas ses amis et qu’on ne peut pas soupçonner d’avoir pris les armes pour lui conquérir un trône. Caton se méfiait de lui et l’avait toujours combattu. Brutus, dont il avait tué le père, le détestait. L’aristocratie ne lui pardonnait pas d’avoir relevé le pouvoir des tribuns et de s’être uni contre elle avec César. Est-il vraisemblable que tous ces grands personnages, exercés aux affaires, aient été les dupes de ce politique médiocre qui n’a jamais trompé personne, et que, sans le savoir, ils aient travaillé pour lui seul ? ou faut-il admettre, ce qui est moins probable encore, qu’ils le savaient, et qu’ils abandonnaient