Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/484

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et prescripteurs de Sylla, s’étaient réunis sous la conduite d’un chef audacieux et habile qui leur promettait une répartition nouvelle de la fortune publique. Cette réunion décida ceux qu’ils menaçaient à s’unir aussi pour se défendre. La frayeur fut plus efficace que ne l’auraient été sans elle les plus beaux discours, et l’on peut dire en ce sens que Cicéron fut peut-être plus redevable de cette fusion, qu’il regardait comme le salut de sa politique, à Catilina qu’à lui-même. La communauté des intérêts amena donc, au moins pour un temps, la conciliation des opinions. Ce furent les plus riches et par suite les plus compromis, c’est-à-dire les chevaliers, qui naturellement furent l’âme du parti nouveau. À côté d’eux se rangèrent les plébéiens honnêtes, qui ne voulaient pas qu’on allât au-delà des réformes politiques, et ces grands seigneurs que leurs plaisirs menacés arrachaient à leur apathie, qui auraient laissé périr la république sans la défendre, mais qui ne voulaient pas qu’on touchât à leurs murènes et à leurs viviers. Le parti nouveau ne chercha pas longtemps pour se donner un chef. Pompée était en Asie, César et Crassus favorisaient secrètement la conjuration. Après eux, il n’y avait pas de plus grand nom que celui de Cicéron. C’est ce qui explique ce grand courant d’opinion qui le nomma consul. Son élection fut presque un triomphe. Je ne dirai rien de son consulat, dont il a eu le tort de beaucoup trop parler lui-même. Ce n’est pas que je veuille rabaisser la victoire qu’il remporta sur Catilina et ses complices. Le danger était sérieux. Salluste lui-même, son ennemi, le déclare. Derrière le complot se tenaient cachés des ambitieux politiques prêts à profiter des événemens. César savait bien que le règne de l’anarchie ne pouvait pas être long. Après quelques pillages et quelques massacres, Rome serait revenue de sa surprise, et les honnêtes gens, retrouvant quelque énergie dans leur désespoir, auraient repris le dessus. Seulement il est probable qu’il se serait produit alors une de ces réactions qui suivent d’ordinaire ces grandes épreuves. Le souvenir des maux dont ils étaient si malaisément sortis aurait disposé bien des gens à sacrifier la liberté, qui les exposait à tant de périls, et César se tenait prêt à leur offrir le remède souverain du pouvoir absolu. En coupant le mal dans sa racine, en surprenant et en punissant la conjuration avant qu’elle n’eût éclaté, peut-être Cicéron retarda-t-il de quinze ans l’avènement du régime monarchique à Rome. Il n’a donc pas eu tort de vanter les services qu’il rendit alors à la liberté de son pays, et il faut reconnaître avec Sénèque que, s’il a loué son consulat sans mesure, il ne l’a pas loué sans motif.

Malheureusement il est rare que ces sortes de coalitions survivent beaucoup aux circonstances qui les ont fait naître. Quand ces intérêts qu’un danger commun avait réunis commencèrent à se rassurer,