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on trouve qu’elle se compose surtout de beaucoup de rhétorique et d’un peu de philosophie. C’est de la rhétorique que viennent tous ces argumens agréables et piquans, toutes ces finesses de discussion, et aussi toute cette ostentation de pathétique qu’on y rencontre. La philosophie a fourni ces grands lieux-communs développés avec talent, mais qui ne tiennent pas toujours très bien au sujet. Il y a là trop d’artifice et de procédé. Un débat serré et simple conviendrait mieux à la discussion des affaires que ces subtilités et ces émotions ; ces grandes tirades philosophiques seraient avantageusement remplacées par une exposition nette et sensée des principes politiques de l’orateur et des idées générales qui règlent sa conduite. Malheureusement, comme je l’ai dit, Cicéron a conservé, en abordant la tribune, les habitudes qu’il avait prises au barreau. C’est par des moyens d’avocat qu’il attaque cette loi agraire si honnête, si modérée, si sage, que le tribun Rullus avait proposée. Dans la quatrième Catilinaire, il avait à discuter cette question, une des plus graves qui puissent être posées devant une assemblée délibérante : — jusqu’à quel point est-il permis de sortir de la légalité pour sauver son pays ? — Il ne l’a pas même abordée. On souffre de voir comme il recule devant elle, comme il la fuit et l’évite, pour développer de petites raisons et se perdre dans un pathétique vulgaire. Évidemment ce genre grave et sérieux d’éloquence n’était pas celui que préférait Cicéron et où il se sentait le plus à l’aise. Si l’on veut connaître les véritables aptitudes de son talent, qu’on lise, immédiatement après la quatrième Catilinaire, le discours pour Muræma qu’il prononça à la même époque. Il n’y en a pas de plus agréable dans la collection de ses plaidoyers, et l’on admire comment un homme qui était consul et qui avait de si grandes affaires sur les bras s’est trouvé l’esprit assez libre pour plaisanter avec tant d’aisance et d’à-propos. C’est qu’il est vraiment là dans son élément. Aussi, quoique consul ou consulaire, revenait-il au barreau le plus souvent qu’il le pouvait. C’était, disait-il, pour obliger ses amis. Je crois qu’il voulait encore se plaire plus à lui-même, tant il paraît heureux, tant sa verve et son esprit s’épanouissent librement quand il a quelque affaire agréable et piquante à plaider. Non-seulement il ne manquait aucune occasion de paraître devant les juges, mais il enfermait autant que possible ses discours politiques dans le cadre des plaidoyers ordinaires. Par exemple, tout se tournait chez lui en questions personnelles. La discussion des idées le laisse froid d’ordinaire. Pour qu’il retrouve tous ses avantages, il faut qu’il soit aux prises avec quelqu’un. Les plus beaux discours qu’il ait prononcés au Forum ou dans le sénat sont des éloges ou des invectives. C’est là qu’il est sans rival, c’est là que, suivant une de ses expressions, son éloquence s’exalte et