Depuis le premier moment, Mirabeau attend une ouverture, armé et redoutable, cachant un homme d’état libéralement monarchique sous le révolutionnaire tonnant, et il dévore son impatience en voyant se perdre les jours et les heures. Une démarche ne peut donc le surprendre, elle répond à son secret désir ; mais du côté de la reine il y a un bien autre chemin à faire. Aux yeux de Marie-Antoinette, étrangère au maniement des hommes et des assemblées, Mirabeau reste un monstre effroyable chargé du soupçon d’avoir été l’instigateur des journées d’octobre, qui n’étaient pourtant pas son œuvre. La reine a cru longtemps n’être jamais assez malheureuse pour être réduite à recourir au tribun, dont l’immoralité lui fait horreur, elle ne le cache pas. Il faut donc que de son côté le sentiment de la nécessité parle bien haut. Ce n’est pas par M. de La Marck que se nouent les premiers rapports. Marie-Antoinette, on le voit aujourd’hui par ses lettres, cherche quelque moyen bien indirect, bien clandestin, et elle s’adresse d’abord à un agent secret de Louis XVI, au baron de Flachslanden, qui ne peut rien. C’est alors que M. de La Marck et avec lui M. de Mercy se chargent de cette délicate négociation ; mais des communications écrites ne suffisent pas : il faut une entrevue, fixée au 3 juillet 1790, et jusqu’au dernier moment la reine hésite. Elle écrit à M. de Mercy : « Tenez, monsieur le comte, plus je réfléchis à la démarche préparée, plus il s’élève de doutes dans mon esprit ; il faut absolument les dissiper. J’en ai une sorte d’horreur malgré moi… » Elle ne peut se défendre d’un frisson à cette idée ; puis, quand l’entrevue est passée, la reine écrit à son frère Léopold : « J’ai donc vu le monstre ces jours derniers avec une émotion à être malade, mais que son langage a bien vite contre-balancée sur le moment ! C’était à Saint-Cloud, il y a quatre jours. Le roi était auprès de moi et a été fort content de M…, qui lui a paru de la meilleure foi et tout à fait dévoué. On croit tout sauvé… » Voilà l’horreur du monstre évanouie ! Mirabeau était sorti de l’entrevue enflammé ; la reine en sortait rassurée.
Rien n’était sauvé cependant. D’abord les conseils de Mirabeau devaient rester inconnus des ministres, et dès lors à quoi pouvaient servir ses directions ? En outre on se réservait, selon l’aveu de la reine, de prendre des mémoires de toutes mains, de Bergasse et de bien d’autres, sauf à se faire un plan de conduite de toutes pièces, et dans ces conditions à quoi bon un correspondant de plus ? Enfin Mirabeau n’est pas homme à se prendre dans ces toiles d’araignée, à se faire le complaisant serviteur de quelque œuvre inconnue ; il veut le rétablissement de l’ordre, mais non de l’ordre ancien, comme il dit. Il en résulte qu’à la première occasion, impatient de voir ses conseils méconnus, il éclate dans l’assemblée, il pulvérise de sa voix