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pas, provoqué le plus souvent par l’indécision, que les obstacles se multiplient au dedans, au dehors, elle retombe dans le découragement d’une nature qui a plus d’élan que de suite. Elle passe d’un goût subit pour tous les détails familiers du gouvernement à une lassitude agitée. Ne lui demandez pas, sans nul doute, même lorsqu’elle agit, d’avoir l’amour de la révolution ; c’est bien assez qu’elle comprenne les nécessités les plus irrésistibles, et il est certain qu’il y a des instans où elle comprend, où elle cherche à faire comprendre autour d’elle qu’il n’y a plus à revenir en arrière, où elle met toute sa bonne volonté à entrer dans l’esprit de l’ordre nouveau, où elle ne ferme nullement les yeux à la lumière. « Paris a l’air d’être tranquille, écrit-elle dans une éclaircie ; mais je voudrais voir les départemens tranquilles et formés en activité, je voudrais voir les lois achevées, je voudrais que tous ceux qui perdent au nouveau régime réfléchissent qu’ils perdront encore plus, s’ils ne se consolent pas ; je voudrais qu’on aime plus la patrie et le repos public que les intérêts de la fortune et de l’amour-propre. Je voudrais bien des choses, et je ne puis rien… » Un jour de bonne et sincère résolution, elle dira à M. de Mercy : « Les derniers événemens m’ont donné de grandes lumières sur l’état des choses et sur le caractère des personnes. Les dispositions de l’assemblée nationale dans ces malheureuses circonstances et les égards qu’on a eus pour moi ne peuvent vous avoir échappé. Je crains de m’être bien trompée sur la route qu’il aurait fallu suivre… » Et la voilà bien décidée à suivre une route meilleure, à accepter le concours de quelques-uns des chefs de la révolution ; mais à un autre moment elle écrira : « On est à côté de moi très résigné à accepter une part très modeste ; pour mon compte, je ne ferais pas si bon marché du pouvoir du trône. Plus on accorde aux factions, plus elles se montrent exigeantes, nous en avons la preuve chaque jour… » Elle veut et elle ne veut pas, et c’est ainsi qu’elle prodigue un courage inutile, une intelligence très réelle et très fine des affaires qui n’aboutît qu’à la mettre un peu plus en vue sans désarmer la révolution, en l’excitant au contraire et en lui précisant le but.

Rien ne peint mieux le mouvement d’esprit de Marie-Antoinette, la nature de ses impressions et de son rôle, ses bonnes volontés et ses luttes intérieures, comme aussi les difficultés de la situation extraordinaire où elle se trouve jetée subitement, que ses rapports avec quelques-uns des chefs de la révolution, notamment avec Mirabeau et avec Barnave. Ce que sont ces rapports avec Mirabeau, les notes du tout-puissant tribun le disent assez. À part la question d’argent, qui est le vilain côté de l’affaire, ces notes forment tout un cours de politique familièrement saisissant, animé et plein d’éclairs.