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il lui dit : « Je ne fournis que les mots, dont je ne manque pas ; » mais Cicéron, contre son habitude, s’est ici calomnié. Il n’est pas traducteur aussi servile qu’il voudrait le faire croire, et dans ses ouvrages politiques surtout la différence est grande entre Platon et lui. Leurs livres portent bien le même titre, mais dès qu’on les a ouverts, on s’aperçoit qu’au fond ils ne se ressemblent pas. C’est le propre d’un philosophe spéculatif comme Platon de viser en toute chose à l’absolu. S’il veut faire une constitution, au lieu d’étudier d’abord les peuples qu’elle doit régir, il part d’un principe de la raison et le suit avec une rigueur inflexible jusque dans ses dernières conséquences. Il arrive ainsi à former un de ces systèmes politiques où tout se tient et s’enchaîne, et qui, par leur admirable unité, charment l’esprit du sage qui les étudie, comme la régularité d’un bel édifice séduit les yeux qui le regardent. Malheureusement ces sortes de gouvernemens, imaginés dans des réflexions solitaires et fondues tout d’une pièce, sont d’une application difficile. Quand on veut les mettre en pratique, il survient de tous côtés des résistances auxquelles on ne s’attendait pas. Les traditions des peuples, leur caractère, leurs souvenirs, toutes les forces sociales, dont on n’a pas tenu compte, ne veulent pas se soumettre aux lois rigoureuses qu’on leur impose. On s’aperçoit alors qu’on ne les façonne pas comme on veut, et puisqu’elles refusent absolument de céder, il faut bien qu’on se résigne à modifier cette constitution qui semblait si belle quand on ne s’en servait pas ; mais ici encore l’embarras est grand. Il n’est pas facile de rien changer dans ces sortes de systèmes serrés et logiques où tout est si habilement lié que la moindre pièce qu’on dérange ébranle le reste. D’ailleurs les philosophes sont naturellement impérieux et absolus ; ils n’aiment pas qu’on les contrarie. Pour éviter ces oppositions qui les impatientent, pour échapper autant que possible aux exigences de la réalité, ils imitent cet Athénien dont parle Aristophane, qui, désespérant de trouver ici-bas une république qui lui convînt, allait en chercher une à sa fantaisie jusque dans les nuages. Eux aussi construisent des cités en l’air, c’est-à-dire des républiques idéales gouvernées par des lois imaginaires. Ils rédigent des constitutions admirables, mais qui ont le tort de ne s’appliquer à aucun pays en particulier, parce qu’elles sont faites pour le genre humain tout entier.

Ce n’est pas ainsi qu’agit Cicéron. Il connaît le public auquel il s’adresse, il sait que cette race froide et sensée, la plus prompte, dit Pline, à prendre les choses par leur côté pratique, serait peu satisfaite de toutes ces chimères. Aussi s’égare-t-il moins dans ces rêves de l’idéal et de l’absolu. Il n’a pas la prétention d’écrire des lois pour tout l’univers ; il songe surtout à son pays et à son temps,