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et c’est précisément ce vide, ce besoin d’argent, que trahit l’élévation de l’intérêt. Pour faire passer le métal d’un pays dans un autre, il y a mille moyens, et ils deviennent chaque jour plus rapides, plus économiques, à mesure que les relations internationales se resserrent et se multiplient. Indépendamment des opérations de banque qui rendent possibles des transports d’argent ou qui en tiennent lieu, il se fait des achats de fonds publics et de marchandises sur la place où l’escompte s’élève, car cette hausse a pour inévitable conséquence de déprimer d’abord le prix des fonds publics, et ensuite, si elle continue, celui des marchandises. Le reflux rapide de l’or sur le marché de New-York en novembre 1857, après la suspension universelle du mois précédent, est un des plus concluans exemples de ce phénomène.

La solidarité des divers marchés monétaires, qu’on s’étonne de voir encore niée en France par des financiers habiles[1], est depuis longtemps en Angleterre un axiome incontesté dans la région des affaires. Déjà en 1857, lord Overstone, — autrefois M. Loyd, — développait cette vérité dans des lettres adressées au Times au sujet de la crise de cette année. « Tandis que toutes les nations civilisées, disait-il, se font concurrence pour la possession du capital, il est impossible qu’un pays en conserve la proportion, dont il a besoin, s’il ne consent pas à en payer le prix sous la forme d’un intérêt élevé. Quand des circonstances spéciales amènent une forte demande de métaux précieux, le peuple qui ne se résigne pas à s’imposer les sacrifices que les autres subissent doit renoncer à conserver une circulation métallique et se préparer au régime du papier-monnaie. Il est désormais impossible que l’un jouisse des avantages de l’argent à bon marché, tandis que les autres sont dans l’embarras et supportent la gêne d’un intérêt élevé. » L’exactitude de ces affirmations est clairement démontrée par l’histoire financière de l’année dernière (1864), où l’on a vu l’escompte s’élever et descendre à peu près du même pas sur tous les marchés monétaires de l’Europe.

La diversité des opinions qui règnent à ce sujet à Paris et à Londres est remarquable. Tandis qu’ici le reproche qu’on adresse sans

  1. Lorsque, dans sa récente brochure sur l’organisation du crédit, M. Isaac Pereire veut que l’intérêt reste bas en France, même quand il s’élève sur tous les autres marchés monétaires, n’est-ce pas comme s’il voulait assurer à tout l’empire du froment à 18 francs, tandis qu’à l’étranger on le paierait 25 ou 30 francs ? Et demander comment l’argent pourrait passer de France en Angleterre, n’est-ce pas exiger qu’on explique comment fait l’eau pour remplir le vide qui la sollicite ? Dans les pays où la loi limite à 6 pour 100 le taux de l’intérêt, les banques défendent leur encaisse en repoussant certaines valeurs qu’elles escomptent d’ordinaire, et cela irrite bien plus le commerce qu’une hausse, qui atteint tout le monde et qui ne crée pas deux catégories, les élus et les réprouvés du crédit.