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C’est une nature familièrement brusque, spirituellement ingénue, droite, d’une dévotion passionnée et simple, d’une originalité fruste et pleine de saillies de bonne humeur. C’est un esprit de vieille race qui a gardé toute son intégrité. Pour elle par exemple, elle ne comprend rien à la révolution, et elle ne cherche pas même à comprendre. Ce qui la désole, c’est que « la religion perd beaucoup, » et ce qui ne l’afflige pas moins, c’est l’abandon où l’on vit, laissant tout faire, et, ce qu’il y a de pis, cherchant à persuader à tout le monde qu’on n’est pas fâché de ce qui se passe. « Les honnêtes gens se découragent en voyant qu’ils ne seront jamais soutenus et finiront par nous délaisser, » écrit-elle à son amie Mme de Bombelles. Elle a des mots étranges, comme lorsqu’elle dit qu’elle a toujours été curieuse et qu’elle voudrait bien voir comment tout cela finira, et elle en a aussi parfois où se révèle un cœur blessé et impatient qui s’insurge et appelle l’action ; mais elle s’arrête aussitôt en disant : « Dieu merci ! ce n’est pas moi qui gouverne ! » Son rôle est de prendre tout avec une sérénité courageuse et contenue, de tâcher de se mettre bien avec le bon Dieu qu’on irrite fort, de rester auprès du roi et de la reine, d’être résignée et dévouée jusqu’au bout ; elle est comme le lierre de cette maison de France en ruine.

C’est dans ces conditions et au milieu de tous ces personnages que la reine se trouve appelée et en quelque sorte contrainte à l’action, que par sa position, par son caractère, elle devient un point de mire pour tous. On dirait un instant que tout se concentre et se noue autour d’elle. Amis et ennemis lui font également ce rôle de primauté morale. Ceux qui veulent aller en avant, qui ont la foi ou l’ivresse de la révolution, sentent bien que là est le péril, que le plus grand obstacle peut venir de l’énergie de cœur, de la résolution de cette reine, et ils s’acharnent contre elle, ils la désignent aux haines populaires et ne reculent pas même devant l’idée sinistre d’un attentat anonyme commis par la multitude dans un moment d’échauffourée, tandis que les moins violens vont encore jusqu’à vouloir évincer la reine par un procès, en la renfermant dans un couvent ou en la renvoyant en Allemagne. Ceux qui ont les yeux fermés, qui voudraient qu’on ne fît rien et qui tremblent à la moindre concession, craignent les entreprises de la reine, ses alliances possibles avec les chefs de la révolution, et montrent à leur manière son importance en la poursuivant dans tout ce qu’elle peut tenter, en s’efforçant de glacer son courage par l’abandon, par les reproches. Ceux qui croient qu’il n’y a plus qu’à faire hardiment la part des nécessites du temps, à s’allier avec la partie modérée de la révolution et à rajeunir la monarchie par la liberté, ceux-là aussi se