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de bonnes raisons à faire valoir pour attaquer le monopole et pour réclamer la liberté en cette matière ; mais on doit, semble-t-il, renoncer à en chercher dans l’histoire des crises[1].

Un économiste allemand aussi distingué par la netteté de ses aperçus que par le mérite du style, M. Max Wirth, dans le livre où il raconte si bien l’histoire des crises, arrive à en attribuer l’origine à la rupture de l’équilibre entre la production et la consommation, et cette opinion a été partagée par plusieurs économistes français[2]. Voici comment ces écrivains expliquent la naissance et le développement de ces troubles profonds qui de temps à autre désolent le monde des affaires. À mesure qu’une nation s’enrichit et que l’aisance se répand, les besoins de la consommation augmentent. Il en résulte que le prix de certains produits s’élève. Ceux qui sont chargés de les créer ou de les importer font alors de grands bénéfices : Ces bénéfices exceptionnels attirent les capitaux, qui se portent à l’envi dans la même branche de la production. La spéculation et l’agiotage impriment à ces opérations une activité anormale. Nul ne s’inquiète plus de l’étendue des débouchés, parce que tout le monde gagne de l’argent ; mais bientôt le marché est encombré, l’excès de la concurrence amène un engorgement, un glut. L’offre des produits dépasse la demande. Dès lors il y a révulsion : les prix tombent aussi rapidement qu’ils ont monté ; les pertes qui en découlent entraînent des ruines, des faillites. Et comme toutes les industries se tiennent, le mal se répercute, la chute des uns entraîne celle des autres, enfin l’ébranlement se communique au monde entier des affaires.

Si l’on veut bien se rappeler l’histoire des principales crises, on n’aura point de peine à se convaincre que cette théorie est insuffisante pour expliquer ces grandes convulsions qui subitement atteignent

  1. Nous ne voulons pas soulever incidemment la question des banques, qui a été traitée récemment ici même dans de remarquables études, et ailleurs encore, dans le livre si complet que M. Wolowski vient de consacrer à cette matière. Un mot toutefois en passant. On pourrait peut-être invoquer en faveur de la liberté des banques un argument assez piquant, parce qu’il serait tout l’opposé de celui que font valoir les partisans de cette liberté. L’expérience comparée de la Belgique et de la Suisse montre que la multiplicité des banques a plutôt pour effet de limiter la circulation fiduciaire, ce qui oblige de conserver plus de monnaie métallique. Dans ce cas, le reproche qu’on pourrait adresser aux banques privilégiées serait, non, comme le prétendent leurs adversaires, de mal remplir leur office, mais au contraire, par la confiance illimitée qu’elles méritent, de permettre d’opérer les échanges avec trop d’économie, c’est-à-dire avec trop peu de numéraire. Les banques libres, inspirant plus de défiance, seraient préférables, parce qu’elles seraient moins efficaces comme agens d’émission, et elles seraient d’autant plus utiles qu’elles seraient plus impuissantes sous ce dernier rapport.
  2. Entre autres par M. Joseph Garnier, qui l’expose, dans ses Elémens d’Économie politique.