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III.

On a raison d’admirer l’école d’Alexandrie. Chez les principaux philosophes qui l’ont illustrée, il y a un souffle, une profondeur, une étendue, une puissance d’intuition métaphysique sans lesquels l’influence du néoplatonisme, qui s’est prolongée à travers le moyen âge et la renaissance jusqu’à nos jours, serait tout à fait inexplicable. Les grands monumens que Plotin et Proclus ont légués à la postérité, ceux au moins qui sont arrivés jusqu’à nous, renferment de remarquables parties où brillent d’éclatantes vérités. Pourtant l’élément solide et durable de leurs doctrines, ce n’est pas en eux-mêmes qu’ils l’ont trouvé, ce n’est pas à leurs méthodes personnelles et favorites qu’ils le doivent. Proclus vise à concilier Platon avec l’Orient ; mais rarement il y réussit. Tantôt il penche du côté du panthéisme, et il y tombe : alors le Dieu qu’il célèbre s’évanouit dans le vide de l’abstraite unité ; tantôt, par un mouvement contraire, il revient à Platon, et aussitôt son Dieu s’anime et vit. Ce qu’il y a de singulier, c’est que dans l’une comme dans l’autre évolution il s’imagine toujours platoniser. C’est de sa part une pure illusion. Quand il emploie réellement la dialectique platonicienne, il abandonne la sienne propre, il mine sa théorie du Dieu indéterminé, et quand il reste fidèle aux procédés alexandrins, il suit une voie que Platon n’a jamais suivie dans ses recherches sur la nature et sur les attributs de Dieu. Les deux méthodes qui se disputent en quelque sorte la pensée de Proclus, et qui tour à tour la maîtrisent, sont aussi celles qui se partagent les métaphysiciens d’aujourd’hui. La double théorie de Proclus sur la Providence nous permettra de voir fonctionner les deux instrumens scientifiques et de juger lequel est le meilleur. Décomposer et décrire le véritable organum de la théodicée serait l’un des plus grands services que l’on pût rendre en ce moment à la philosophie.

Il est bien difficile d’affirmer Dieu et de nier en même temps la Providence. La Providence, c’est la cause de l’ordre du monde : or cet ordre est si évident et tellement inexplicable en l’absence d’une cause excellente qui le produise et le maintienne, que les athées sont obligés d’attribuer à la matière des vertus providentielles. Aussi est-ce sur l’idée de Providence que la famille et l’enseignement s’appuient à l’envi pour édifier dans les jeunes esprits la connaissance de Dieu. Cette preuve en effet a l’inappréciable avantage de parler éloquemment à toutes les facultés de l’homme : à ses sens par les spectacles de la nature, à sa conscience par la considération des résultats moraux de ses démarches bonnes ou mauvaises, à sa raison par la nécessité de rapporter des œuvres mer-