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ce qu’ils peuvent. Cela ne regarde plus Proclus, ou plutôt le sens commun et la philosophie se vengent, ils rentrent à l’improviste dans le système d’où on les a repoussés et arrachent à Proclus cet aveu : Dieu est une cause, il est la cause de tout. En d’autres termes, Dieu, qui n’a pas d’attributs, possède néanmoins le suprême attribut, la puissance.

Hegel est plus d’accord avec lui-même, du moins au début de son mouvement dialectique. Il place au point de départ l’être pur, l’être indéterminé, l’être dépouillé et nu ; mais il sait ce qu’il fait, et, sauf à se contredire bientôt, il confesse que son être pur est identique au néant (das Nichts). Proclus n’a point cette intrépidité. Il réduit bien son premier principe à la dernière nullité, il lui ôte courageusement l’être, la vie, l’éternité, l’intelligence, l’âme, le mouvement, la liberté ; il va même plus loin, il avertit qu’en nommant Dieu le Bien et l’Un, il ne prétend rien affirmer de son intime nature. Toutefois, cette œuvre d’anéantissement une fois consommée, il en nie les effets et s’écrie : « N’allez pas croire qu’un tel Dieu ne soit rien ! Il n’est pas tout non plus ; il est le principe et la fin de tout. » Soit. Les critiques les plus concilians trouveront cependant quelque difficulté à comprendre cette théodicée, et à concevoir par exemple qu’une cause productrice dépourvue d’intelligence soit supérieure à l’intelligence parfaite et consciente d’elle-même. Pascal a dit avec autant de force que d’éclat : « Quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu’il sait qu’il meurt, et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien. » Cette phrase célèbre n’est si éloquente que parce qu’elle exprime une profonde vérité psychologique dont la métaphysique doit profiter sous peine de n’agiter que d’arbitraires hypothèses. La science philosophique ne connaît réellement qu’une seule cause digne de ce nom. Cette cause, c’est l’âme humaine agissant librement, c’est-à-dire sciemment. Ôtez à cette cause l’intelligence de ses actes, elle déchoit de son rang de cause et tombe au rang des forces fatales et aveugles. En cet état, est-elle supérieure à ce qu’elle était quand elle possédait la conscience ? Qui osera répondre que oui ? Inconscient, dénué d’intelligence, le dieu de Proclus est une cause inférieure à l’intelligence qu’il produit. Que ceux qui estiment que la nature divine nous est à jamais inaccessible gardent le silence sur les attributs de Dieu, ils seront du moins conséquens avec eux-mêmes ; mais qu’après avoir mis la connaissance des perfections absolues au-dessus et en dehors de la science, ils donnent pour cause à des œuvres où brille l’intelligence et à des êtres doués de raison un Dieu nul comme celui de Proclus, ou une molécule chimique comme les récens matérialistes,