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croire, quand on dit : Dieu n’est pas l’intelligence, c’est comme si l’on disait : Dieu a le pouvoir de produire l’intelligence. Quand on dit : Dieu n’est pas l’âme, c’est comme si l’on disait : Dieu a le pouvoir de produire l’âme. Si Dieu était quelque chose, il ne produirait aucune chose. Le manque, le défaut dans le premier principe est, dit encore Proclus, le signe non certes de l’infériorité et de la privation, mais au contraire de la prééminence. Ainsi Dieu ne sera rien de ce qu’on affirme des créatures, en vertu de ce principe que tout producteur doit être supérieur à son produit, toute cause supérieure à son effet. — Certes l’évidence de ce principe n’est pas un seul instant contestable, mais Proclus l’a-t-il bien compris, et de quelque façon qu’il l’ait entendu, y est-il du moins resté fidèle ?

Proclus recommande aux philosophes, dans un de ses ouvrages intitulé les Dix doutes sur la Providence, de prendre pour guide Mercure, qui inculque aux âmes les vérités du sens commun. Il ne veut pas dire, en parlant ainsi, que la philosophie soit condamnée à ne pas dépasser les limites du sens commun, mais bien qu’elle est tenue d’en respecter les principes alors même qu’elle les développe. Eh bien ! Proclus a oublié que le sens commun mesure à sa manière la valeur des êtres qu’il connaît, qu’il place les uns au-dessus des autres, qu’il établit entre eux des degrés d’infériorité et de supériorité. Pour le sens commun, un être est supérieur à un autre être, lorsque le premier possède une qualité qui manque au second, ou bien encore lorsque celui-là, semblable d’ailleurs à celui-ci, l’emporte par un développement plus grand et plus complet des qualités communes à l’un et à l’autre. Essayez de lui faire accroire que le comble de la supériorité est précisément l’absence, non-seulement de toute perfection, mais de toute qualité quelconque : vous n’y parviendrez jamais. La philosophie, dont les vues sont plus hautes et plus larges que celles du sens commun, doit-elle, sur ce point, se montrer de meilleure composition ? Elle ne le pourrait pas, le voulût-elle. La raison l’oblige à soutenir que l’être supérieur à tous les autres est celui en qui les puissances les plus hautes résident au suprême degré. Or la pensée de Proclus est fort différente. Selon ce philosophe, le principe suprême est simplement celui dont le caractère essentiel se retrouve dans tous les êtres sans aucune exception ; mais, à son sens, l’unité est le seul caractère commun à tous les êtres : donc le premier principe est l’unité pure. Qu’après cela l’unité pure ne soit qu’une abstraction creuse, peu lui importe ; que cette unité vide exclue toute qualité, il ne s’en inquiète pas. L’unité est ce que l’esprit rencontre partout : c’est assez ; Dieu sera l’unité, rien de plus. Cependant que deviennent dans cette théorie les droits du sens commun et ceux de la raison ? Ils deviennent