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L’étendue de l’esprit de Proclus et les qualités grecques de son génie atténuent néanmoins à chaque instant les effets négatifs de sa méthode mystique, fondée, on le verra bientôt, sur la seule abstraction. S’il n’avait cru qu’à son Dieu suprême, dont le langage humain ne pouvait rien dire, il n’aurait plus eu qu’à se taire, et la philosophie était morte. Par bonheur, ces divinités grecques, qu’il maintient en les abaissant, participent du Dieu absolu et gardent quelque chose de leur antique nature : par là elles sont à la fois plus pures que les dieux d’Homère et d’Hésiode et plus vivantes que le dieu innommable des Orientaux. Il est donc permis encore d’en parler, bien plus de les prier, de les célébrer, de les chanter en vers. De là ces hymnes de Proclus, quelquefois ternes, pâles, semblables à de médiocres pastiches d’Homère, mais parfois aussi animés de je ne sais quel souffle nouveau. M. Cousin les caractérise en maître quand il parle de « ces hymnes empreints d’une mélancolie profonde, où, désespérant de la terre et l’abandonnant aux barbares et à la religion nouvelle, il se réfugie un moment en esprit dans la vénérable antiquité, avant de se perdre dans le sein de cette unité absolue, objet constant de toutes ses pensées, suprême asile de ses misères. » Oui, une immense tristesse, mais en même temps de fermes espérances, voilà les sentimens qui, dans les jours mauvais, soutiennent ceux qui comme Proclus ont gardé la jeunesse du cœur et la chaleur de l’âme. Pour ceux-là, rien n’est jamais complètement perdu, pas même l’inspiration poétique. Cette inspiration, nous l’avons retrouvée en plusieurs endroits des chants de Proclus, mais surtout à la fin de son hymne à Athéné Polymétis, dont nous essayons de traduire ici les vingt-trois derniers vers.


«… Écoute-moi, ô toi dont le visage rayonne de pures clartés, donne-moi un paisible refuge, à moi qui suis errant sur cette terre. Donne à mon âme les pures lumières qui brillent dans tes paroles sacrées. Donne-moi la sagesse et l’amour, et souffle à cet amour la force, toute la force qui, du sein des terrestres vallées, m’enlèvera vers l’olympe jusqu’aux demeures du Père excellent. Et si quelque faute honteuse pèse sur ma vie (car combien sont nombreuses, combien diverses les actions impies que je commets, insensé que je suis, ma conscience troublée me le dit assez), pardonne-moi, déesse miséricordieuse et tutélaire ; ne permets pas que les châtimens redoutables me dévorent comme une proie, moi qui, prosterné contre terre, implore la grâce de t’appartenir. Donne à mon corps, à mes membres une santé puissante, inaltérable ; éloigne de moi l’essaim des maladies aiguës qui épuisent la chair. Oui, je t’en conjure, ô souveraine, calme de ta main divine la violence de mes sombres douleurs. Au navigateur qui traverse la vie n’envoie que les souffles les plus doux. Donne-lui l’hyménée, des enfans, la gloire, le bonheur, l’aimable sérénité, l’éloquence, l’amitié et son doux langage, la vive intelligence, la force contre le malheur, un