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d’amour pour la justice et jaloux de l’exercer sous toutes ses formes, nourris d’ailleurs des écrits politiques de Platon et d’Aristote, ces hommes de bien se mêlèrent aux affaires publiques autant que le leur permirent l’état du monde à cette époque et le respect de leur propre caractère. À ce sujet, Porphyre rapporte dans sa biographie de Plotin un fait intéressant et curieux. L’empereur Gallien et l’impératrice Sabine avaient pour Plotin une considération particulière. Encouragé par leur bon vouloir, il les pria de faire rebâtir une ville de Campanie qui était ruinée, de la lui donner avec tout son territoire, et de permettre à ceux qui devaient l’habiter d’être régis par les lois de Platon. Son dessein était de nommer cette ville Platonopolis et d’y aller demeurer avec ses disciples. Il eût aisément obtenu ce qu’il demandait si quelques courtisans de l’empereur n’y eussent mis obstacle soit par jalousie, soit par dépit, soit par quelque autre mauvaise raison. Il est difficile de conjecturer quels fruits eût portés cette entreprise, si Plotin avait pu en tenter les chances. Toujours est-il certain que l’amour de la vie politique et des libres institutions s’était conservé, en dépit des temps, au fond de ces belles âmes. Deux siècles après, Proclus montrait à Athènes des sentimens pareils. Il assistait à ce qu’il restait alors d’assemblées publiques, y exprimait d’excellens avis, traitait des questions de droit avec les autorités de la ville, et non-seulement il les exhortait, mais il les obligeait même par l’ascendant de son autorité philosophique à rendre à chacun ce qui lui était dû. Si le récit de Marinus est véridique, n’y a-t-il pas, dans les efforts généreux par lesquels ce mystique essaie d’améliorer une société abaissée et corrompue, un spectacle aussi consolant qu’inattendu ?

Mais au-delà des vertus politiques, les néoplatoniciens en voyaient d’autres d’un ordre infiniment supérieur. Plus haut que la pure contemplation de l’unité ineffable, plus haut même que l’extase, à laquelle Plotin s’était arrêté, ses successeurs, à l’exception pourtant de Porphyre, plaçaient les vertus théurgiques. Aux yeux de Marinus, le mérite éminent de Proclus, son maître, ou plutôt le comble de sa perfection fut de parvenir à l’exercice du pouvoir mystérieux de la théurgie. Qu’était-ce donc que cette vertu singulière ? Le lecteur connaîtrait mal Proclus, si nous ne lui parlions de cet élément important de la dernière théodicée païenne. Peu de mots suffiront : on trouvera de plus amples détails chez les historiens de l’école d’Alexandrie, et surtout dans les pages remarquablement claires et complètes que M. F. Ravaisson a consacrées au néoplatonisme à la fin du tome deuxième de son Essai sur la Métaphysique d’Aristote. La théurgie n’était point une momerie, encore moins un artifice grossier au service des charlatans et des fourbes ;