Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/369

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
I.

« Pourquoi en effet, a dit M. de Rémusat[1], l’histoire de la philosophie se réduirait-elle à l’exposition des systèmes philosophiques ? L’histoire politique ne se borne pas à exposer les systèmes politiques des différens états. Une histoire de la philosophie pourrait être au moins une histoire des philosophes. » Or la biographie des philosophes a d’autant plus de prix et d’intérêt qu’il en jaillit plus de lumières pour l’explication du sens et de la destinée de leurs doctrines. Tel est précisément, selon nous, le mérite de l’éloge de Proclus par Marinus, son disciple, car c’est bien là un éloge dans toute l’acception bonne et mauvaise du mot. Les défauts mêmes de ce panégyrique servent à caractériser fortement l’état des esprits dans la dernière école de philosophie païenne. Aux beaux temps de l’atticisme, les maîtres étaient vénérés, on tâchait de suivre leurs exemples, on développait leurs idées, on les pleurait après leur mort, on défendait leur mémoire ; mais on n’accablait de louanges hyperboliques ni leur personne ni leur souvenir. Xénophon racontait les entretiens de Socrate, Platon agrandissait les pensées et idéalisait l’image de son père intellectuel : Marinus ne s’en tient pas là ; il exalte Proclus ; bien plus, il le déifie. Dans la biographie comme dans les systèmes, l’antique inspiration est remplacée par le rêve, la poésie par le délire mystique, et la piété par le fanatisme et l’extase. Il serait oiseux de reproduire ici les faits de la vie de Proclus ; on les trouvera rapidement et suffisamment exposés dans les récentes histoires de l’école d’Alexandrie. Essayons seulement, en forme d’esquisse, un portrait du personnage où paraîtra la vivante expression d’abord de sa vocation et de ses tendances, puis de ses théories.

L’école d’Alexandrie et l’école néoplatonicienne d’Athènes furent doublement religieuses, par leur goût pour les problèmes théologiques et par leur profond attachement aux dogmes du paganisme. Avant de l’anéantir, le christianisme avait imprimé au vieux polythéisme mourant une secousse qui, pendant quelque temps encore, l’électrisa et le ranima. Même après la vaine tentative de Julien, les philosophes païens crurent de bonne foi que l’olympe pourrait revivre, renouvelé et rajeuni par l’adjonction de toutes les divinités de l’Orient. De là une constante intervention des anciens dieux dans la naissance, la vie, les démarches et les travaux des philosophes. Sans doute l’imagination grecque ne s’était jamais abstenue d’en-

  1. Bacon, sa vie, son temps, etc., préface, p. III.