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sibles à son ordre, et nouant autour de son cou leurs bras charmans. Près de Jamblique, Proclus, adonné comme lui aux mystères de la théurgie, eût tenu d’une main les oracles de la Chaldée et le Parménide de Platon, de l’autre la sphère magique dont il se servait à Athènes pour conjurer les chaleurs brûlantes et ramener les pluies. Enfin, après Proclus, après Marinus son biographe, après leurs successeurs, on eût vu Damascius, ne sachant plus, à force de mysticisme, si l’on peut connaître Dieu, ou si la connaissance du premier Être est impossible, et faisant, par un retour fatal, aboutir l’extase à une sorte de scepticisme inconscient. Ainsi l’imposante fresque eût offert aux regards du spectateur la vie tout entière de l’intelligence grecque, depuis le temps de sa pleine et florissante maturité jusqu’à l’heure où, épuisée par de suprêmes efforts, elle s’éteignit enfin, non sans avoir mêlé, avant de disparaître, quelques brillans rayons aux clartés que le christianisme naissant jetait sur le monde. Néanmoins, dans cette œuvre plus vaste que nous rêvons, Raphaël, se fût-il surpassé lui-même, ne nous aurait appris ni comment les philosophies germent et se développent, ni comment elles finissent.

Les causes de la grandeur et de la décadence des écoles philosophiques, c’est à la philosophie elle-même de les découvrir en étudiant sa propre histoire, qui n’est que la conscience humaine manifestée sous tous ses aspects dans les écrits des penseurs de génie. C’est à la philosophie de considérer, en parcourant les annales de son passé, le jeu des méthodes diverses, d’en juger, d’après les fruits qu’elles ont portés, la puissance ou l’infirmité, et d’acquérir cette expérience dont nul, pas même le génie, ne s’est jamais impunément dispensé. Si le xixe siècle, qui s’appelle le siècle de l’histoire et de la critique, lit, comprend, discute aujourd’hui en France les systèmes les plus profonds et les plus obscurs comme les plus clairs et les plus accessibles, s’il s’en inspire à propos sans en subir aveuglément l’influence, on sait quelle impulsion, quels exemptes et quels travaux l’en ont rendu capable. Parmi ces travaux, le premier et le plus rude fut cette édition des œuvres inédites de Proclus d’où sont sortis tant des savans ouvrages sur la philosophie néoplatonicienne[1]. C’était un des grands anneaux de la chaîne immense que M. Cousin devait plus tard reformer tout entière, soit par ses propres efforts, soit par ceux de ses élèves. La première édition étant épuisée, il en donne une nouvelle avec un luxe et une richesse dont ses ressources personnelles auront seules fait les frais. On nous

  1. Ceux de MM. Jules Simon, Ravaisson, Barthélemy Saint-Hilaire, Vacherot, Berger, Bouillet. Voyez aussi, dans la Revue du 1er septembre 1844, une étude de M. É. Saisset sur l’Histoire de l’École d’Alexandrie.