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En sortant du sommeil, ne cherche-t-elle pas des yeux sa mère et « ses douces mamelles ? » L’enfant ne manque de rien, répond l’astre qui passe au-dessus des villages et des cités, « mais elle est altérée de tes soins. » Ces simples paroles brisent le cœur de la pauvre mère, qui gémit de douleur et tombe morte sur la terre noire. Aussi, même quand les poètes doutent du dévouement de la sœur et de l’épouse, on les voit exprimer leur confiance absolue dans le plus pur et le plus solide des amours.

J’ai peut-être trop insisté sur la vie des paysans et de leurs modestes compagnes ; mais on ne doit point perdre de vue que la civilisation serbe, essentiellement patriarcale, n’offre point encore de grandes complications. Au contraire, en lisant les chants de la Grèce moderne, on y retrouve toutes les classes qui jouent un rôle en Occident, et cette diversité de types, ces Phanariotes, ces primats, ces négocians, ces marins, offrent l’occasion de tableaux variés. Un personnage original qui n’occupe pas dans les pesmas moins de place que dans les chants grecs, c’est le haïdouk, le klephte des Serbes. Depuis qu’une partie de la famille serbe a secoué le joug étranger, le haïdouk tend à disparaître de la scène. Il a toutefois, dans les provinces restées soumises aux musulmans, conserve une partie de l’importance qu’il avait naguère dans la principauté. Les Serbes et les Hellènes sont aujourd’hui assez portés à idéaliser la vie klephtique. Il est certain que le haïdouk et le klephte ont rendu plus d’un service à la cause nationale en entretenant l’esprit militaire chez les raïas et en montrant par d’audacieuses entreprises la faiblesse de la domination étrangère ; mais il est de la famille de ces outlaw dont l’historien de la Conquête d’Angleterre, Augustin Thierry, a tracé un admirable portrait. Or l’outlaw est un personnage d’une nature assez difficile à caractériser. La haine de l’ordre, le mépris de la loi, des convoitises fâcheuses et des passions vulgaires peuvent se mêler dans son âme ardente à des inspirations véritablement patriotiques, et pour faire ici la part exacte du bien et du mal, il faut étudier avec beaucoup d’attention les pesmas consacrées aux haïdouks.

On vient de voir quelles sont les principales sources d’inspiration qui ont alimenté les chants populaires des Serbes. Aujourd’hui encore le souffle de quelques-unes des idées qu’expriment les pesmas anime l’âme de ce peuple fier et vivace, qui, depuis la guerre d’Orient, a su fixer l’attention des hommes politiques de l’Europe. Les derniers événemens ont montré qu’une agitation presque continuelle règne en Serbie. Une lutte sanglante s’est engagée entre, la Turquie et la Tsèrnagora ; les raïas de l’Hertzégovine ont manifesté par leur turbulence le peu de goût qu’ils ont pour la domination musulmane :