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la crinière d’or, dit-elle de sa plus douce voix au noble coursier, dis-moi, ton maître est-il marié ? — Non, belle fille, mais à l’automne il songe à t’épouser. — Si tu disais vrai, bel alezan, je garnirais ton poitrail avec mes atours d’or et d’argent, et j’entourerais ton front de mon collier d’or ! »

Dans un pays nullement mystique, où la race essentiellement agricole surabonde de vie, où le célibat n’est point estimé, et où le monachisme est en complète décadence, le désir de se marier explique chez les jeunes vierges ces vivacités de caractère et de langage. « O tchardak, que le feu te brûle ! s’écrie la fillette qui s’ennuie de se promener seule et de dormir seule sur sa couche. Personne, s’écrie-t-elle, n’est à droite ni à gauche ; je tourne autour de moi la triste couverture, et dans la couverture mes douleurs. » Il n’est pas étonnant que, dans une pareille disposition d’esprit, qui rend trop facile la tâche des séducteurs, la mort ne paraisse pas plus dure que le célibat. Cette disposition ne rend pas toutefois une fille aveugle sur le mérite de ceux qui prétendent à sa main. Elle n’est nullement disposée à l’un de ces « mariages de raison » où le rang et la fortune font trop aisément oublier l’âge. L’antipathie que de pareils mariages inspirent est peinte tantôt avec une verve ironique, tantôt avec une vivacité dramatique. Les poètes qui nous font assister à la toilette et au travail des vierges nous permettent de lire dans leur âme. Une jeune fille, en baignant ses joues gracieuses, s’adresse à son beau visage : « O mon visage, dit-elle, si je savais qu’il te fût réservé de recevoir les baisers d’un vieillard, j’irais dans la verte forêt pour recueillir toutes les plantes d’absinthe, je les broierais avec ardeur, j’en ferais une eau dont je te laverais chaque matin, afin que les baisers parussent aussi amers au vieillard que l’absinthe elle-même ; mais s’il s’agissait d’un jeune homme, j’irais dans un riant jardin, j’en cueillerais toutes les roses, j’en ferais une eau dont je te baignerais chaque jour, afin que les baisers, parfumés et suaves, répandissent la joie dans son cœur. Ah ! avec lui, j’irais volontiers dans la montagne plutôt que de vivre dans la koula du vieillard. J’aimerais mieux dormir avec lui sur la dure que sur les coussins de soie du vieillard, »

Dans ces chants, où l’on dirait, au premier coup d’œil, que le côté sensuel de l’amour tient la plus grande place, apparaît un autre sentiment. La jeune fille semble vouloir moins son propre bonheur que « répandre la joie dans le cœur » du bien-aimé. Sauf de rares exceptions, le dévouement est le fond même du caractère féminin. Maigre cette tendance générale, il faut tenir grand compte de la différence des races. Chez les Gaulois et chez les Latins par exemple, la femme, dont la personnalité est fort accentuée,