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Tous ces faits attestent que chez le peuple serbe il existe un penchant très fort pour la vie commune, et qu’il ne néglige aucune occasion de le fortifier. Ce penchant, dont l’influence pourrait être si utile, est malheureusement chez lui poussé à l’excès. Les Serbes, comme toutes les populations restées fidèles au régime patriarcal, ne sont pas encore préparés à se faire une idée rationnelle des droits de l’individu dans la société moderne. Cette considération s’applique particulièrement à la condition des femmes, qui offre partout le meilleur moyen de se rendre compte des vues d’un peuple sur l’indépendance individuelle. Les Serbes n’ont pu vivre impunément en contact avec l’islam, dont les doctrines éminemment asiatiques sont si nuisibles aux droits et à la dignité de la femme. Tous les peuples de la péninsule ont plus ou moins subi cette influence, et il importe à leurs intérêts comme à leur dignité de répudier énergiquement et promptement le funeste héritage que leur ont légué les défaites ou les défaillances morales de leurs ancêtres.

L’antique code des Lois de Manou (Manava-Dharma-Sastra), tout en recommandant d’assujettir les femmes à une dure servitude, prescrit aux Aryas de leur donner des noms qui charment les oreilles et qui réveillent la pensée de toutes les séductions inhérentes à la nature féminine. Les Serbes n’ont pas oublié ce conseil. Leurs poètes prodiguent même aux « vierges fleuries » ces épithètes louangeuses dont l’Orient n’est jamais avare. « Rose, or, tige d’amour, fleur de beauté, ma douce âme, » telles sont les qualifications les plus employées. S’agit-il de décrire leurs charmes, on nous parle de « leurs paupières brunes, » de la « blancheur de leur beau cou, éclatant comme la neige dans la verte forêt, » de leur visage qui resplendit « semblable au soleil levant, » et de leurs yeux pareils « aux fruits noirs du prunellier. » Le portrait de la vierge Haïkouna nous présente l’idéal d’une beauté accomplie. Ses blonds cheveux sont des tresses de soie, ses bruns sourcils des sangsues marines, ses noires paupières les ailes de l’hirondelle, ses yeux deux pierres précieuses, ses joues sont blanches et roses comme si elles avaient gardé l’empreinte de l’aurore, ses petites dents sont des rangs de perles, sa bouche mignonne est une boîte de sucre, son sein a la blancheur des colombes, sa taille est haute et svelte comme un jeune sapin ; quand elle parle, on entend gémir la tourterelle ; quand elle rit, on croit voir luire le soleil.

Malgré les éloges donnés à la beauté, une pesma cependant nous montre la jeune fille exposée à des corrections qui sembleraient honteuses aux vierges de la Gaule ou de la Grande-Bretagne. Il est vrai que les femmes serbes dans leurs passions participent de la violence du caractère national. Une jeune fille maudit ses yeux noirs, parce qu’ils n’ont pas vu la fleur et l’écharpe brodée que le bien-aimé a