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Hérodote trouva des populations passionnées pour leurs chants nationaux. Dès le VIe siècle après l’ère chrétienne, on peut constater qu’il existait chez les Slaves païens des rhapsodes ou gouslars qui chantaient leurs poèmes. Ces rhapsodes charment encore les fêtes populaires et les habitués des méhanas (cabarets). Au commencement de ce siècle, on a vu un aveugle aller en Serbie pour assister aux batailles libératrices de Tsèrni-George. Dans l’ardeur du combat et au milieu des balles, il exhortait ses compatriotes à se montrer dignes de leurs pères. Les chanteurs s’accompagnent d’un instrument primitif nommé gouslé. La gouslé est un morceau de bois creusé qui n’a ordinairement qu’une corde, qui ne peut en avoir plus de quatre, et qu’on couvre d’une peau de mouton. On la place sur les genoux et on en joue à l’aide d’un archet en forme d’arc, avec une plume ou avec les doigts. Les riches instrumens décrits dans les pesmas n’en diffèrent que par la substitution de l’or et de l’argent au bois. Armé de la gouslé, le chanteur débite la pesma comme un récitatif, par couplets de cinq à six vers, puis il fait une pose pendant laquelle le son de la corde continue de se faire entendre. L’aveugle Démodocus, dont les chants charmaient les Hellènes rassemblés dans le palais d’Ulysse, ne tirait pas probablement de sa lyre une musique plus harmonieuse, et cependant Homère affirme que ses chants produisaient une impression profonde. J’avouerai que, malgré l’exécution barbare, la pensée poétique a tant de puissance que moi-même, en écoutant ces rhapsodes, je finissais par tomber sous le charme.

En Serbie, la vie communale est tellement développée qu’on pourrait craindre que l’esprit de clocher ne finît par donner au patriotisme un caractère municipal excessif et contraire aux intérêts de la nation. L’institution des sabore, dont l’origine est essentiellement religieuse, a pour but d’empêcher la fraternité de se concentrer dans le village. Construites ordinairement au milieu des forêts solitaires, les églises étaient sous la domination étrangère un centre de réunions commodes. Les Turcs, cantonnés dans les villes, ne s’inquiétaient guère de voir aux jours de fête, à l’anniversaire de la dédicace du sanctuaire, aux Rameaux, à Pâques, etc., les raïas s’empresser de courir à l’église. Ces jours-là, l’église paroissiale réunissait dans ses murs tous les habitans des villages qui formaient la paroisse. Aujourd’hui encore les grands sabore sont la réunion annuelle de plusieurs, arrondissemens et même de plusieurs départemens autour d’une église ou plus souvent d’un monastère. On nomme sabore de vidovdan le pèlerinage que font chaque année, le jour de la bataille de Kossovo, des personnes de tous les départemens, qui se rassemblent au couvent de Ravanitza, où reposent les restes vénérés du tsar Lazare.