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méridionales ont trop souvent manifestée dans les combats. Organisé pour la guerre et pour la vie pastorale, il n’a point jusqu’à ce jour manifesté plus de penchant pour l’étude que pour le négoce. « Les lettres menues » dont parlent les pesmas semblent fatiguer à la fois et ses yeux et son attention ; mais la faculté poétique n’est nullement inséparables des habitudes studieuses, et personne n’ignore quelle distance sépare le poète de « l’homme de lettres. » La Serbie fournirait au besoin une nouvelle preuve de cette vérité. Des pasteurs guerriers perdus dans des forêts impénétrables où des villages entiers sont cachés dans les bois ont été visités par l’inspiration, comme les rapsodes errans qui composèrent autrefois les poèmes, homériques. Un patriotisme exalté a mis sur leurs lèvres ardentes des chants admirables qui dureront autant que leur race. Quel dommage que cette race n’ait pas eu, comme les Hellènes, l’instinct de la perfection, et que les pesmas n’aient pu devenir une Iliade ! Cette faculté poétique se retrouve, du reste, plus ou moins vive, à toutes les époques. La bataille de Mischar a eu ses gouslars comme la journée de Kossovo, et beaucoup de chants domestiques sont avec raison considérés comme l’œuvre des femmes. Elles ont, sans parler des exploits des héroïnes, mis en vers de gracieuses compositions consacrées à la tendresse et à l’amour, qu’elles accompagnent des accords de la tamboura (mandoline orientale).

Une imagination aussi vive exclut naturellement ce que les modernes nomment le sens critique. Aussi le monde a-t-il conservé pour le Serbe le caractère mystérieux qu’il avait pour les populations occidentales du moyen âge. Sa foi est cependant plutôt inspirée par un sentiment religieux que par cette orthodoxie rigide qui était au temps des Grégoire VII et des Innocent III la règle de l’Occident. Son caractère comme son imagination le porte à conserver les anciennes croyances, même quand elles sont antérieures à la prédication chrétienne, l’esprit d’ironie, si étrangement développé chez les Slaves de l’est (Russes), s’accuse moins aux bords de la Drima et de la Morava, et la Serbie n’a jamais eu de Gogol. La gravité serbe, qui n’exclut point un fonds de belle humeur, est loin toutefois de ressembler à la taciturnité que les Latins et les Slaves trouvent si singulière chez les Germains, « Autre est le Serbe, autre est l’Allemand ! » dit-on sans cesse dans les chaumières de la Serbie. « Les muets, » — tel est le nom que les Slaves donnent aux peuples germaniques, — ont quelque peine à comprendre le caractère d’une nation dont le chant et la danse semblent être la vie, qui chante en travaillant comme en s’amusant, aux funérailles comme aux mariages. Des penchans aussi divers devaient produire des sociétés fort différentes. Tacite remarquait déjà que le Teuton cherche l’isolement et fuit les voisins. De nos jours, l’Allemand se