Qu’elle eût de la peine à s’initier aux affaires sérieuses, qu’elle ne fût pas en un mot une femme politique, elle ne le cache guère ; mais elle avait des instincts. Elle eut un moment une idée qui ressemble à un pressentiment, où elle se rencontre, par une coïncidence bizarre, avec le marquis d’Argenson, qui, dès 1744, écrit dans son Journal : « Si j’étais aujourd’hui favori du roi,… le plus accrédité des ministres, comme était Maximilien de Sully auprès d’Henri IV, je persuaderais à sa majesté de ne songer uniquement pendant dix ans qu’à payer ses dettes et à améliorer ses états… J’ajouterais le conseil de venir résider à Paris, après quoi il y aurait plus d’épargne. Il habiterait le palais des Tuileries et le Louvre… » Au commencement de son règne, Marie-Antoinette, elle aussi, s’enflamma un instant pour cette pensée. Elle voulait transporter à Paris la cour, le gouvernement, l’administration. Elle n’était pas insensible à l’allégement des dépenses qui en résulterait ; elle y joignait tout un plan d’embellissemens et de travaux destinés à renouveler Paris, et dont quelques-uns sont aujourd’hui à peine achevés. La royauté transportée à Paris, tout pouvait changer ; les journées des 5 et 6 octobre 1789 n’étaient plus possibles. Pour une reine frivole, Marie-Antoinette voyait plus clair et sentait plus juste que les politiques de Versailles, dont cette idée dérangeait les habitudes.
Et d’un autre côté, jeune, ayant le goût du plaisir, douée d’une nature sensible et vive, unie d’ailleurs à un roi peu fait pour entraîner ou pour occuper un cœur de vingt ans, Marie-Antoinette n’a-t-elle jamais ressenti de ces mouvemens intimes que les bruits clandestins lui ont si libéralement prêtés, en promenant ses préférences du chevalier de Luxembourg au duc de Coigny, de lord Strathavon à un prince de Darmstadt, de Lauzun à M. de Fersen ? Je ne sais, et quel est le regard assez fin pour pénétrer dans ce dernier repli d’un cœur de femme et de reine, qui en aucun cas assurément n’a abaissé sa fierté dans une galanterie vulgaire ? Ce qui est certain, c’est qu’il n’y a point de traces visibles et sérieuses, c’est que les témoignages manquent, sauf les fatuités de M. de Lauzun ou quelque insinuation de M. de Besenval sur la liberté qu’avait osé prendre la reine de se donner un appartement particulier simplement et commodément meublé, et aussi probablement destiné à un usage qu’on ne dit pas. Un des plus spirituels sceptiques du temps, qui ne cache rien, principalement sur les autres, sans oublier ses propres folies, le prince de Ligne, a dit peut-être le mot le plus vrai, quoique un peu quintessencié, sur Marie-Antoinette : « sa prétendue galanterie ne fut jamais qu’un sentiment profond d’amitié et peut-être distingué pour une ou deux personnes, et une coquetterie générale de femme et de reine pour