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son souvenir vivra éternellement dans la mémoire des Serbes. « Le XIVe siècle, dit M. Tommaseo, fût pour la Serbie l’époque de la suprême grandeur. » L’énergie militaire était alors trop affaiblie parmi les Hellènes pour qu’ils pussent, à peine remis de leur lutte contre les tsars, arrêter le vol de l’aigle à deux têtes des Nemanitch. Aussi vit-on les Serbes déborder comme un torrent sur le sud de la péninsule, enlever aux césars de Byzance la Thrace, la Macédoine, la Thessalie, l’Albanie, l’Acarnanie, et pousser leurs conquêtes jusqu’aux environs de Constantinople. Du reste, des populations plus belliqueuses que ne l’étaient les Hellènes au XIVe siècle ne purent résister à l’impétuosité des soldats d’Etienne le Puissant. Les Magyars, qui ont été jusqu’à nos jours des adversaires si redoutables pour les Slaves du sud, essayèrent inutilement d’arrêter le développement de l’état serbe. Louis Ier, roi de Hongrie, après avoir subi deux sanglantes défaites, se vit obligé de renoncer à ses projets. Il faut avouer que certaines entreprises de Douchan n’étaient pas plus légitimes que les tentatives des Magyars contre l’indépendance des Slaves. S’il se fût borné à constituer l’unité des populations serbes, il n’aurait mérité que les éloges de la postérité. Il eût été même assez naturel qu’il essayât de rattacher à son empire les Croates et les Bulgares, qui font aussi partie de la Slavie méridionale ; mais les Hellènes ; et les Chkipetars (Albanais), qui appartiennent au rameau pélasgique de la race indo-européenne, ne pouvaient rester longtemps soumis à une race qu’ils regardaient avec raison comme moins illustre que la leur, et dont ils différaient profondément par les traditions et par les habitudes. Douchan eut beau, comme, Charlemagne, emprunter à l’ancienne civilisation des rangs et des titres, s’entourer de « despotes, » de « logothètes, » de « chambellans ; » il ne fit pas plus illusion aux Hellènes que Charlemagne n’avait fait illusion aux Italiens. Un moment comprimées par la force, les populations n’attendaient que l’occasion pour échapper au tsarat serbe. M. Tommaseo a donc raison de dire dans ses Canti popolari que, si la politique de Douchan éleva les Serbes au comble de la gloire, elle prépara aussi leur ruine.

On semble croire en Serbie que si une fièvre violente n’avait pas en quelques heures enlevé le tsar au moment où dans la force de l’âge (il n’avait que quarante-cinq ans), solidement établi en Thrace, au village de Diavoli, il menaçait Constantinople avec une armée de quatre-vingt mille hommes, l’empire, régénéré pas une race militaire, protégé par l’aigle à deux têtes et les deux lis, armes des Nemanitch, aurait pu arrêter les Ottomans et préserver la chrétienté des maux sans nombre que lui a causés l’asservissement de la péninsule. Les guerres de conquête ne manquent jamais de