Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/327

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’Iovan ! » Le quatrième billet, il le place sous son oreiller : « Et toi, ne demeure point ici, ô charme, ni toi, billet, mais qu’à ta place cette nuit vienne la sœur d’Iovan ! » Peu d’heures s’étaient écoulées, qu’un bruit léger se fit entendre à la porte de Stoïan : « Ouvre la porte, si tu reconnais un Dieu ! Ouvre la porte ! les flammes me dévorent ! » Stoïan hésitant et gardant le silence, la voix continue : « Ouvre la porte, les eaux m’entraînent ; ouvre la porte, si tu reconnais un Dieu ! Les vents m’enlèvent jusqu’aux nuages ! »

Les Serbes, ayant, comme les autres peuples, remarqué chez les femmes une plus grande aptitude à subir le phénomène de l’hallucination, phénomène dont l’explication jette une si vive lumière sur l’histoire du merveilleux, ont attribué aux sorcières une puissance digne des magiciennes de Thessalie. La viechtilza, dont parlent tant de voyageurs, est un être malfaisant et redouté. Elle peut dépouiller son corps comme un vêtement. Des ailes de feu la transportent à travers l’espace au foyer des personnes endormies, dont elle ouvre le flanc pour dévorer leur cœur. Le goût du sang humain attribué à la sorcière existe aussi, on le sait, chez les vampires ; mais on retrouve là une différence analogue à celle que j’ai signalée entre les idées serbes et les idées helléniques. Pour un Hellène, le vampire est un « excommunié dont le corps se conserve par un châtiment du ciel ; pour un Serbe, le vampire (voudkodlak) est un être dont la nature est de nuire comme le loup ou le serpent, sans que l’orthodoxie ait rien à voir en cette affaire.

La peste est un personnage du même genre et plus redoutable encore. On dit que, prenant l’apparence d’une femme voilée, elle va porter la contagion de maison en maison. Combien de fois, quand la mort semblait planer sur toute la péninsule, le lugubre fantôme ne s’est-il pas montré aux pâtres crédules ou aux femmes effrayées ! Pour ces vives imaginations, qui regardent une apparition comme un fait aussi simple que la manifestation d’une force naturelle, « il existe beaucoup de choses entre le ciel et la terre » qu’elles acceptent en dépit de la science, qui les a depuis longtemps reléguées dans le domaine des visions et des chimères. N’a-t-on pas vu d’ailleurs un contemporain de Voltaire, le savant Calmet, composer un volume pour prouver l’existence des vampires, et, au siècle de Descartes et de Molière, un des restaurateurs de la botanique, Tournefort, déclarer qu’il avait vu, — de ses yeux vu, — plusieurs cas de vampirisme ?

Dans cette période primitive, telle que la retracent les chants populaires, c’est en définitive un culte rêveur et superstitieux des puissances naturelles qui semble dominer chez les Serbes. On va voir de ce mélange d’exaltation aventureuse et de croyances naïves se dégager une nation virile.