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voyage cela a toujours été de mieux en mieux jusqu’à parfaite conclusion… » C’est en 1778 en effet que naissait le premier des enfans de la reine et du roi, Marie-Thérèse, celle qui devait être Madame de France, la duchesse d’Angoulême, et dont Marie-Antoinette salue la venue au monde dans une lettre à sa mère d’un accent ému et touchant : « Je ne lui ai pas donné (au roi) un dauphin, mais la pauvre petite qui est venue n’en sera pas moins chère. Un fils ne m’eût pas appartenu, elle sera toujours auprès de moi, elle m’aidera à vivre, me consolera dans mes peines, et nous serons heureuses à deux. Elle est ici à mes côtés qui ne demanderait qu’à me tendre ses petits bras et à me sourire… » L’amour était venu chez Louis XVI sans chasser certaines habitudes de méfiance, sans effacer de son esprit certaines préventions. Au fond, il ne déplaisait pas au roi de donner lui-même, assez innocemment quelquefois, le mot d’ordre de la fronde, et de laisser les comédiens de Versailles livrer aux risées de la cour les coiffures, les manières, les fantaisies de Marie-Antoinette. En l’aimant, il la perdait, et pendant longtemps il se laissait adresser une correspondance fort hostile pour la reine, — qui le 10 août s’est retrouvée aux Tuileries !

Ainsi se forme par degrés autour de cette reine sans appui le réseau le plus redoutable, comme une hiérarchie de défiances, de jalousies et d’inimitiés allant d’une famille royale médiocre jusqu’à la foule versatile des courtisans. Les dangereuses condescendances ou les complicités d’en haut sont autant de chemins ouverts pour arriver à la renommée de Marie-Antoinette. Les uns font peser sur elle le souvenir toujours ravivé et ironique de son origine étrangère ; les autres s’attaquent à ses préférences pour M. de Choiseul ou à la facile indépendance de son humeur. Ceux-ci poursuivent en elle l’influence de la reine, ceux-là le caractère de la femme. Le vieux parti de la cour lui fait un crime de se livrer aux coteries intimes, aux familiers et aux favoris, et par un singulier retour ces favoris eux-mêmes se détachent, se tournent contre elle, lui font expier ses faiblesses par le redoublement de leurs exigences et par l’éclat de leur infidélité. M. de Vaudreuil voudrait être gouverneur du dauphin quand le dauphin est né ; M. d’Adhémar vise à l’ambassade de Londres ; M. de Besenval veut de l’influence dans la politique. Mme de Polignac ne veut rien, reçoit tout et se plaint de n’avoir pas encore assez, et si la reine se hasarde un jour à exprimer à sa favorite le désir de ne pas se trouver dans son salon avec certaines personnes, Mme de Polignac lui répond d’un ton d’humeur : « Je pense que parce que votre majesté veut bien venir dans mon salon, ce n’est pas une raison pour qu’elle prétende en exclure mes amis. » Ce monde-là aussi tournait à la malignité, de telle sorte que pour