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sa tête énorme sur son énorme main, à quoi rêve-t-il, les yeux baissés ? Sa barbe tressée et flottante qui descend jusqu’à la poitrine, ses mains de travailleur sillonnées de veines saillantes, son front plissé, son masque épais, le grondement sourd qui va sortir de sa poitrine, donnent l’idée d’un de ces rois barbares, sombres chasseurs d’aurochs, qui venaient heurter leur colère inutile contre les portes de l’empire romain. Ézéchiel se retourne avec une interrogation impétueuse, et son élan est si brusque que l’air froissé soulève sur son épaule un pan de son manteau. La vieille Persica, sous les longs plis de sa cape tombante, lit infatigablement un livre que de ses deux mains noueuses elle tient collé devant ses yeux perçans. Jonas s’abat renversé la tête en arrière sous l’apparition foudroyante, pendant que ses doigts comptent d’eux-mêmes involontairement les quarante jours qui restent à Ninive. La Libyca descend violemment, emportant l’énorme livre qu’elle a saisi. L’Erythræa est une Pallas plus guerrière et plus hautaine que sa sœur l’Athénienne antique. Autour d’eux, sur la courbure des voûtes, des adolescens nus tendent leur échine ou déploient leurs membres, tantôt fièrement étendus et reposés, tantôt élancés et luttant ; quelques-uns crient, et de leur cuisse raidie, de leur pied crispé, ébranlent furieusement le mur. Au-dessous, un vieux pèlerin courbé qui s’assoit, une femme qui baise son petit enfant serré dans ses langes, un homme désespéré qui de son regard oblique défie amèrement le destin, une jeune fille au beau visage riant qui dort paisible, vingt autres, les plus grandes figures de la vie humaine, parlent par tous les détails de leur attitude et par le moindre pli, de leur vêtement.

Ce ne sont encore là que les contours de la voûte ; sur la voûte elle-même, longue de deux cents pieds, se développent les histoires de la Genèse et les délivrances d’Israël, la création du monde, de l’homme et de la femme, le péché, l’exil du premier couple, le déluge, le serpent d’airain, le meurtre d’Holopherne, le supplice d’Aman, une population de figures tragiques. On se couche sur le vieux tapis qui couvre le plancher, et l’on regarde. Elles ont beau être à cent pieds de haut, enfumées, écaillées, étouffées les unes par les autres, situées au-delà de toutes les habitudes de notre peinture, de notre siècle et de notre esprit ; on les entend d’abord. Cet homme est si grand que les différences de temps et de nation ne subsistent pas devant lui.

La difficulté n’est pas de subir son ascendant, mais de s’en expliquer la puissance. Quand, après avoir livré ses oreilles à cette voix tonnante, on s’est retiré, reposé, mis à distance, de façon à ne plus en sentir que le retentissement, quand on a laissé la réflexion suc-