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ondoyantes, parmi les scintillemens des écharpes argentées, parmi les fauves reflets de l’or tressé en fleurs et déroulé en arabesques, les spectateurs virent sur le dernier char, du milieu d’une pyramide de figures vivantes, à côté d’un laurier verdissant, se lever l’enfant nu qui représentait la renaissance de l’âge d’or, ils purent croire un instant qu’ils avaient ranimé la noble antiquité disparue, et qu’après un hiver de quinze siècles la plante humaine allait fleurir tout entière une seconde fois.

Voilà les spectacles qu’on avait tous les jours dans une ville d’Italie ; c’était là le luxe des princes, des cités, des corporations. Des mains, des yeux et du cœur, le moindre artisan y prenait part. Le sentiment des belles formes, des grandes ordonnances, des ornemens pittoresques, était populaire. Un charpentier le soir en parlait à sa femme ; on en discutait au cabaret, devant l’établi ; chacun prétendait que la décoration à laquelle il avait travaillé était la plus belle ; chacun avait ses préférences, ses jugemens, son artiste, comme aujourd’hui les élèves d’un atelier. Il arrivait de là que le peintre et le statuaire parlaient non-seulement à quelques critiques, mais à tout le monde. Aujourd’hui, que nous reste-t-il des anciennes pompes poétiques ? La descente de la Courtille, où hurlent des ivrognes sales, et le cortège du bœuf gras, où grelottent six pauvres diables en maillot rose parmi les haussemens d’épaules et les quolibets. Les mœurs pittoresques se sont réduites à deux parades de rues, et les mœurs athlétiques aux luttes de foires où des hercules payés à dix sous l’heure se démènent devant des hommes en blouse et des soldats. Ces mœurs étaient la température vivifiante qui de toutes parts faisait germer et fleurir la grande peinture. Elles ont disparu, et partant nous ne pouvons plus la refaire. Tout au plus un peintre, en s’enfermant dans son atelier avec des vases antiques, en se nourrissant d’archéologie, en vivant parmi les plus purs modèles de la Grèce et de la renaissance, en se séquestrant de toutes les idées modernes, peut arriver, à force d’étude et d’artifice, à reformer autour de son esprit une température semblable. Nous ayons vu des prodiges de ce genre, un Overbeck, qui, communiant, jeûnant, se cloîtrant à Rome, croit retrouver les figures mystiques d’Angelico de Fiesole, — un Goethe, qui, s’étant fait païen, ayant copié les torses antiques, muni de toutes les ressources que l’érudition, la philosophie, l’observation et le génie peuvent accumuler, parvient, par la souplesse et l’universalité de l’imagination la plus cultivée qui fut jamais, à redresser sur un piédestal allemand une Iphigénie presque grecque. Avec une serre savamment bâtie et des calorifères bien ménagés, on peut faire mûrir des oranges, même en Normandie ; mais la serre coûtera un million ; sur dix orangers,