Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/31

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La Vauguyon, un précepteur d’une dévotion vulgaire et méticuleuse, d’une intelligence asservie à tous les menus détails, qui n’avait rien du précepteur d’un prince, cette éducation ne pouvait qu’accroître l’incompatibilité naturelle. La politique à son tour jetait ses préjugés, ses passions et ses calculs entre ces deux personnes royales. Marie-Antoinette a dans ses lettres un mot d’une honnêteté charmante en parlant du roi : « son estime est ma protection. » Cette estime était réelle ; mais elle était mêlée à une retenue qui était propre à Louis XVI et à une défiance éveillée, entretenue en lui par tout son entourage. M. de La Vauguyon avait fait au premier moment tout ce qu’il avait pu pour empêcher l’intimité de naître, au point que la jeune dauphine impatientée finissait par lui dire un jour que M. le dauphin n’avait plus besoin de gouverneur, et qu’elle n’avait pas besoin d’espion. Les tantes du roi s’étaient armées de toute leur influence pour tenir le roi en garde contre l’ascendant de la reine. M. de Maurepas s’ingéniait à son tour pour écarter la belle dame, comme il l’appelait. Il était trop habile pour faire une guerre ouverte et violente à la reine ; mais il savait saisir les faibles du roi, lui parler à propos de son père le dauphin, et jeter dans son esprit des soupçons, que le roi finissait par croire naturels, sur le danger de laisser la reine s’occuper des affaires. De là la défiance de Louis XVI.

Et puis l’histoire a quelquefois de singuliers mystères, et ces rois de la maison de Bourbon sont d’étranges princes. Ils sont tous des Henri IV, des Louis XIV, des Louis XV ou des Louis XIII, des voluptueux effrénés ou des transis. Louis XVI était un peu de ces derniers dans sa timidité endormie. Il y avait sept ans que Marie-Antoinette était en France, et elle n’était point mère, et elle n’avait aucune raison d’espérer de l’être. Si bizarre que cela soit, il fallut que l’empereur Joseph vînt en France pour faire l’éducation de Louis XVI et ouvrir à son imagination des perspectives nouvelles ; ce n’est qu’après ce voyage que Marie-Antoinette écrit à sa sœur comme à la dérobée et ayant l’air de répondre à quelque question indiscrète : « Non… mais taisez-vous, voilà ma réponse ; mais tout maintenant fait espérer le contraire… » Et le roi lui-même écrit vers la fin de 1777 à l’empereur avec la rondeur d’un bonhomme récemment formé à son devoir de mari : « Vous me reprocherez de ne vous avoir pas mandé ce qui s’est passé entre la reine et moi ; j’attendais quelque chose de plus pour vous en faire part. Deux fois nous avons eu quelques légères espérances ; mais malgré qu’elles n’aient pas réussi, je suis sûr d’avoir fait ce qu’il faut, et j’espère que l’année prochaine ne se passera pas sans vous avoir donné un neveu ou une nièce. C’est à vous que nous devons ce bonheur, car depuis votre