Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/298

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cherche Landseer. Tel est l’esprit dans lequel il faut considérer les tableaux du grand siècle en Italie ; l’expression commence plus tard avec les Carraches : ce qui occupe les hommes aux environs de l’an 1500, c’est l’animal humain et son accompagnement, le costume peu compliqué et lâche. Joignez-y la pompeuse superstition du temps, le besoin de saints pour les églises et de décoration pour les palais. De ces deux sentimens est sorti le reste ; encore le second n’a-t-il fourni que le motif ; toute la substance de la peinture vient du premier. Ils ont eu raison ; la douleur, la joie, la pitié, la colère, toutes les nuances des passions n’étant visibles qu’à l’œil intérieur, si je leur subordonne le corps, si les muscles et le vêtement ne sont là que pour les traduire, je traite les formes et les couleurs en simples moyens, je fais ce que je pourrais mieux faire avec un autre art, la poésie par exemple, je commets la même faute que la musique lorsqu’avec une rentrée de clarinette elle prétend exprimer la ruse triomphante du jeune Horace, la même faute que la littérature lorsqu’avec vingt-cinq lignes de noir sur du blanc elle essaie de nous montrer la courbure d’un nez ou d’un menton. Je manque les effets pittoresques et je n’atteins qu’à demi les effets littéraires ; je ne suis qu’un demi-peintre et un demi-littérateur.

Cette idée-là revient sans cesse, par exemple devant les madones et la Vénus d’André del Sarto, belles jeunes filles qui sont parentes, devant la Visitation de Sébastien del Piombo ; c’est la Visitation, si vous voulez, mais le vrai titre serait : une jeune femme debout à côté d’une vieille femme courbée. Il y avait deux hommes dans le spectateur du temps, le dévot qui, en payant le tableau pour une église, croyait gagner cent ans d’indulgences, et l’homme d’action qui, la tête remplie d’images corporelles, se plaisait à contempler deux corps sains, actifs, dans des manteaux bien drapés.

L’amour sacré et l’amour profane de Titien, encore un chef-d’œuvre et du même esprit : une belle femme habillée à côté d’une belle femme nue, rien d’autre, et cela suffit. La première sérieuse du sérieux le plus noble, l’autre blanche de la blancheur ambrée de la chair vivante entre un linge blanc et un vêtement rouge, les seins peu marqués, la tête exempte de toute bassesse licencieuse, donnent l’idée du plus heureux amour. À côté d’elles est un bassin sculpté, derrière elles un grand paysage bleuâtre, des terrains roux tranchés par la teinte foncée des bois sombres, et dans le lointain la mer ; à distance sont deux cavaliers ; on aperçoit un clocher, une ville. Ils aiment les paysages réels qu’ils voient tous les jours, et les mettent dans leurs tableaux, sans s’inquiéter de la vraisemblance ; tout est pour le plaisir des yeux, rien pour celui de la faculté raisonnante. L’œil passera des tons simples de cette chair ample et saine aux