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la main pesante. Ce sont là des recherches ou des gentillesses sentimentales, comme il en faut dans le nouveau piétisme du XVIIe siècle, dans une religion de femmes mondaines et mystiques. Mais les morceaux les plus frappans sont, je crois, les portraits. L’un, de Véronèse, représente Lucrèce Borgia, en velours noir, le sein un peu découvert, avec des bouillons de dentelle au corsage et aux manches, grosse, déjà mûre, les cheveux retroussés, un front bas, l’air composé et un singulier regard ; telle elle était lorsque Bembo lui adressait les périodes et les protestations de ses lettres cérémonieuses. — L’amiral André Doria, de Sébastien del Piombo, est un superbe homme d’état et de guerre, au geste commandant, au regard calme, et sa grande tête est encore prolongée par une barbe grise.— Une autre tête par Bronzino, celle de Machiavel, éveillée, goguenarde, finit par arriver à l’expression d’un acteur bouffe ; vous diriez d’un finaud qui a l’air de flairer attentivement autour de lui avec des intentions drolatiques. Dans Machiavel, il y a un comique sous l’historien, le philosophe et le politique, et ce comique est cru, licencieux, amer souvent et à la fin désespéré. On connaît ses plaisanteries au sortir de la torture, ses gaîtés funèbres pendant la peste ; quand on est trop triste, il faut rire pour ne pas pleurer ; peut-être au XVIIe siècle, et en France, il eût été Molière. — Deux portraits par Raphaël, ceux de Barthole et de Baldus, rudes et forts gaillards ; tout l’homme est saisi sans heurt, et par le centre ; à côté de Raphaël, les autres peintres sont hors de l’équilibre, excentriques. — Le chef-d’œuvre entre tous les portraits est celui du pape Innocent X par Velasquez : sur un fauteuil rouge, devant une tenture rouge, sous une calotte rouge, au-dessus d’un manteau rouge, une figure rouge, la figure d’un pauvre niais, d’un cuistre usé : faites avec cela un tableau qu’on n’oublie plus ! Un de mes amis revenant de Madrid me disait qu’à côté des grandes peintures de Velasquez qui sont là toutes les autres, les plus sincères, les plus splendides, semblaient mortes ou académiques.

Palais Borghèse.

Quand au tournant d’une clairière vous voyez une biche avancer la tête, écouter, — le mouvement penché de son cou vous semble gracieux, et vous sentez l’ondulation souple qui, au premier bruit, va courir sous son échine et la lancer à travers les taillis. Quand devant vous un cheval qui veut sauter se ramasse sur sa croupe, vous sentez le gonflement des muscles qui le cabrent sur ses jarrets ; vous vous intéressez par sympathie à cette attitude et à cet effort. Vous ne souhaitez pas autre chose, vous ne demandez pas en surcroît une idylle morale, une intention psychologique, comme en