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allaient amollir et dégrader. Au dehors, c’est un carré colossal, presque dépourvu d’ornemens, à fortes fenêtres grillées ; il faut qu’il puisse résister à une attaque, durer des siècles, loger un prince et toute une petite armée : voilà la première idée du maître et de l’architecte ; celle d’agrément ne vient qu’ensuite. Encore le mot d’agrément est-il mal choisi ; parmi ces mœurs dangereuses et hardies, on ne soupçonne pas l’amusement, l’amabilité gracieuse telle que nous l’entendons ; ce qu’on aime, c’est la beauté mâle et sérieuse, et on l’exprime par des lignes et des constructions comme par les fresques et les statues. Au-dessus de cette grande façade presque nue, la corniche qui fait le rebord du toit est à la fois riche et sévère, et son encadrement continu, si bien approprié et si noble, maintient ensemble toute la masse, en sorte que le tout est un seul corps. Les bossages énormes des encoignures, la variété des longues files de fenêtres, l’épaisseur des murailles, entremêlent sans cesse l’idée de la force à l’idée de la beauté. On entre par un vestibule sombre, peuplé d’arabesques, solide comme une poterne, étayé par douze colonnes doriques trapues, de granit rougeâtre. Là s’ouvre l’admirable cour intérieure qui est le chef-d’œuvre de l’édifice ; le dehors est pour la défense : c’est au dedans qu’on se promène, qu’on se repose et qu’on prend le frais. Chaque étage a son promenoir intérieur, son portique de colonnes, et chaque colonne est encastrée dans un fort arc, d’échine résistante, ce qui augmente encore l’air énergique ; mais les balustres, la diversité des étages, l’un dorique, l’autre ionique, surtout la guirlande de fleurs et de fruits qui les sépare, les lis sculptés en façon d’arabesques, répandent dans cette sévérité une beauté charmante et comme une lumière saine au milieu d’une ombre forte.


Palais Sciarra et Doria.

L’ancien roi de Naples habite le palais Farnèse, en sorte qu’il est difficile d’en voir les peintures ; les autres sont ouverts à jours fixes. Les propriétaires ont le bon goût et le bon sens de faire de leurs galeries privées des musées publics. Des pancartes servant de livrets sont posées sur les tables et mises à la disposition des visiteurs ; les concierges et les gardiens reçoivent gravement leurs deux pauls : en effet, ce sont des fonctionnaires qui servent le public et doivent être payés par le public… Voilà le passage de la vie aristocratique au régime démocratique : les chefs-d’œuvre, les palais ont déjà cessé chez nous d’être la propriété des particuliers pour devenir l’usufruit de tout le monde.

Palais Sciarra.— Deux tableaux précieux sont sous verre : le premier,